Le journal de Yunbogi (1965) et Carnets secrets des ninjas (1967) de Nagisa Oshima. (Editions Carlotta) Coffret DVD disponible le 11 mars 2015.

Image fixes

Au milieu des années 60, Nagisa Oshima revient d'un séjour de deux mois en Corée. Il découvre un pays ravagé par des décennies d'occupation japonaise et par une grande pauvreté. Il décide alors d'adapter Le journal de Yunbogi, best-seller coréen qui évoque le quotidien d'un petit garçon de 10 ans.

Plutôt que de réfléchir à une « fiction » qui reconstituerait ce journal, le cinéaste s'appuie sur les nombreuses photos qu'il a effectuées en Corée, écrit un commentaire et réalise le film au banc-titre. Comme La jetée de Chris Marker, le film sera un court-métrage (24 minutes) uniquement composé d'images fixes.

Le résultat est tout simplement bouleversant. Oshima suit les traces de Yunbogi, petit enfant des rues coréen qui, pour vivre, commence par vendre des chewing-gums avant de devenir cireur de chaussures à Taegu puis vendeur de journaux. Systématiquement, la voix-off rappelle qu'il se livre aux mêmes activités que des milliers d'autres enfants perdus et rend ainsi universelle sa malheureuse expérience.

Cela pourrait être du mauvais mélodrame (Yunbogi n'a plus ni père, ni mère) mais Oshima parvient toujours à être à la bonne distance entre l'empathie et la révolte. Empathie que le spectateur éprouve face à ces clichés d'enfants nus pieds dans les rues de Séoul, contraints à la mendicité ou aux petits boulots de fortune (ce qui d'ailleurs revient exactement au même). Révolte contre un système inique et l'impérialisme japonais qui a réduit à la ruine son voisin coréen.

Plutôt que de jouer les donneurs de leçons et les moralisateurs, Oshima préfère montrer les foyers de révolte qui existent en Corée et monte de manière fort habile des clichés pris lors de manifestations étudiantes.

Le film, à la fois pudique et poignant, vibre de cet esprit de révolte qui fit les beaux jours du cinéma d'Oshima.

Image fixes

Tourné deux ans plus tard, Carnets secrets des ninjas reposent sur la même technique de l'image fixe et du banc-titre, même si la caméra effectue parfois des mouvements sur ces images. Mais il s'agit cette fois d'un long-métrage (trop long métrage puisqu'il approche les deux heures!) et les photos ont été remplacées par les dessins d'un manga alors très célèbre au Japon. Signés Sanpei Shirato, ces dessins racontent des histoires de guerre de clans dans le Japon du 16ème siècle avec en filigrane le désir de vengeance du jeune Jutaro dont la route croise constamment celle du mystérieux Kagemaru.

Les exégètes d'Oshima pourront trouver des correspondances entre ce film et les œuvres « filmées » du cinéaste, surtout à travers cet indéfectible esprit de révolte que résume à merveille Kagemaru, l'homme qui soulève les paysans contre le règne des seigneurs : « le combat continuera malgré nos défaites ». On peut penser que dans une optique quasiment situationniste, Oshima adopte et « détourne » un langage populaire afin de soulever les masses et de pousser les individus à la révolte en faisant un parallèle entre le Japon féodal et l'époque contemporaine.

Pour ma part, j'avoue que le film m'est un peu passé au-dessus de la tête, sans doute parce que le manga est un langage qui ne me parle absolument pas. Je suis prêt à reconnaître la virtuosité du montage effectué par le cinéaste mais le graphisme des dessins ne me touche jamais, ces incessantes bagarres me fatiguent et ces personnages qui se ressemblent tous et se démultiplient à l'envi m'ennuient très rapidement. Pour prendre un exemple précis, Oshima se permet à un moment donné une longue digression pour présenter les origines du clan Kage : je trouve tout cela très confus et cette succession de petits récits « annexes » alourdit considérablement et inutilement la sauce.

 

Carnets secrets des ninjas est donc un film un peu à part dans l’œuvre d'Oshima et, pour être franc, c'est celui qui m'intéresse le moins...

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