Une liaison tumultueuse
Une année studieuse (2012) d'Anne Wiazemsky (Collection Blanche. Gallimard, 2012)
« Un jour de juin 1966, j'écrivis une courte lettre à Jean-Luc Godard adressée aux Cahiers du Cinéma, 5 rue Clément-Marot, Paris 8e. Je lui disais avoir beaucoup aimé son dernier film, Masculin Féminin. Je lui disais encore que j'aimais l'homme qui étais derrière, que je l'aimais lui. »
Ainsi débute Une année studieuse, avec cet art qu'a Anne Wiazemsky pour rentrer dans le vif du sujet, aller droit au but puis laisser le fil de ses souvenirs se dérouler et se dissiper ensuite de manière plus allusive, plus évanescente. Déjà Jeune fille nous mettait directement dans le bain avec une première rencontre avec Bresson. Une année studieuse sera le récit de la rencontre avec Jean-Luc Godard jusqu'à la projection en avant-première de La chinoise à Avignon en 1967.
Au cours de cette année mouvementée, la jeune fille obtiendra son bac à la session de septembre (avec une anecdote savoureuse à propos de son épreuve d'histoire-géographie), tombera éperdument amoureuse d'un cinéaste vedette, se mariera, suivra des cours de philosophie à Nanterre où elle rencontrera un étudiant roux anarchiste dont nous ne connaîtrons que le prénom (Dany), s'installera dans un appartement avec Godard où ils tourneront La chinoise...
Une fois de plus, ce qui séduit chez Anne Wiazemsky, c'est que son récit autobiographique est travaillé par un véritable souci d'écriture. Il n'y a pas cette complaisance morbide que l'on retrouve dans les autofictions pleurnichardes et revanchardes de Christine Angot ou Édouard Louis. Si elle ne présente pas toujours les personnages sous leur meilleur angle (Godard apparaît parfois comme violent, jaloux, tempétueux, sa mère peut aussi être d'une grande cruauté...), la distance du temps lui permet toujours de conserver une certaine empathie et un respect pour ceux qu'elle évoque. De la même manière, elle ne représente pas non plus la jeune fille qu'elle fut sous un angle toujours reluisant, soulignant souvent un caractère difficile et les moments où elle fut capricieuse, lunatique ou égoïste.
Cet équilibre fait que le lecteur dévore avec un grand plaisir ces souvenirs qui peuvent être parfois d'une grande drôlerie (je recommande le passage où la jeune Anne se trompe de chambre d'hôtel et se retrouve dans le lit de... Jean-Pierre Cassel), parfois tendres (les évocations toujours très belles du grand-père François Mauriac), parfois surprenantes (le portrait qu'elle peint de Godard ne correspond pas du tout à l'image austère que le cinéaste a pu donner parfois) et toujours palpitantes (l'agitation à Nanterre qui préfigure les événements de mai 68).
Le livre est, bien entendu, axé autour de la relation entre la toute jeune comédienne et Jean-Luc Godard qui, de son côté, était tombé amoureux d'elle en découvrant une photo dans un périodique. Cette relation sera passionnelle et tumultueuse, la jeune fille devant affronter une famille qui s'oppose à cette liaison, les humeurs pas toujours faciles du cinéaste et ses propres sentiments (entre son amour sincère et un désir légitime d'indépendance).
Difficile de ne pas voir l'évidente dimension romanesque de cette liaison : les affrontements avec la mère qui a parfois des mots très durs, l'assentiment consenti grâce, une fois de plus, à Mauriac (le passage où Godard va demander la main d'Anne à son grand-père vaut le détour), les liens entre le travail et la relation amoureuse (Godard tourne son film dans l'appartement qu'il vient d'acheter), les escapades amoureuses (un très beau moment tchekhovien où le couple est reçu dans la somptueuse villa de Jeanne Moreau), etc. Le lecteur croisera de nombreuses silhouettes qui joueront un rôle primordial dans le tableau impressionniste peint par l'auteur : le philosophe Francis Jeanson, le critique Michel Cournot, François Truffaut, Jacques Rivette, etc.
Privilégiant d'abord les faits, Anne Wiazemsky parvient grâce à la délicatesse de son écriture à nimber son récit de non-dits, de zones d'ombre, d'ellipses qui accentuent l'intensité de son roman et lui donne au fur et à mesure une véritable épaisseur.
On n'a qu'un hâte lorsque arrive le point final : se jeter sur Un an après et poursuivre la lecture de ces passionnants souvenirs...