Les ruses du diable (1966) de Paul Vecchiali avec Geneviève Thénier, Jean-Claude Drouot, Michel Piccoli, Germaine de France, Nicole Courcel. (Éditions La traverse et Les éditions de l'oeil). Sortie en DVD en mai 2015

Une autre vie

Avant toute chose, il convient de saluer la magnifique initiative des éditions de l’œil et La traverse qui nous offrent aujourd'hui la chance de (re)découvrir quatre films de Paul Vecchiali, cinéaste rare et malheureusement trop peu reconnu. On soulignera également la qualité du travail éditorial : les quatre longs-métrages sont présentés sous la forme de somptueux livres-DVD et sont accompagnés de courts-métrages du cinéaste (ici, le très beau Les roses de la vie) et de nombreux suppléments (des entretiens avec Vecchiali, Simsolo, Bozon, Roppert, Orlean...). Inutile de dire que les cinéphiles exigeants seront aux anges.

 

Les ruses du diable est le premier long-métrage du cinéaste et une œuvre singulière, témoignant déjà d'un regard unique au cœur du cinéma français.

Ginette est une petite cousette parisienne qui, un beau jour, reçoit une lettre anonyme contenant un billet de banque. Troublée, elle commence à mener une enquête lorsque ces mystérieux envois se répètent tous les jours. Puis elle s'accommode de cette providentielle manne financière et quitte son travail à l'atelier où elle était employée...

Avec ce premier film, Vecchiali s'inscrit dans le sillage de la nouvelle vague dont il retrouve la spontanéité et la légèreté. Tourné dans les rues de Paris et dans la campagne environnante avec visiblement peu de moyens, le film s'attache à suivre l'évolution d'une jeune fille modeste à qui la chance semble soudain sourire. Il faudrait le talent littéraire d'un Jérôme Leroy pour décrire l'insouciance que semblent partager ces jeunes gens en dépit de leur modeste condition, le timbre unique du rire de ces jeunes fille du « monde d'avant », la beauté des grands yeux de Geneviève Thénier dont le visage évoque aussi bien celui d'Anna Karina que ceux des midinettes mutines de Jacques Rozier. Cette vivacité qui parcourt constamment l’œuvre n'empêche pas une certaine gravité comme en témoignera le dénouement du récit. Car si Vecchiali possède certains points communs avec les cinéastes de la nouvelle vague (il est né la même année que Godard et Chabrol), il s'en distingue également par son goût pour le cinéma français des années 30 (Duvivier, Grémillon...) et le mélodrame. Comme le dit très justement Serge Bozon dans l'un des suppléments du film, Vecchiali est, avec Mocky, un des derniers réalisateurs préoccupés par le caractère populaire de ses films. Il ne faut pas entendre « populaire » au sens où on l'entend aujourd'hui (qui fait recette, qui a du succès) ni dans son acception démagogique ou populiste mais au sens premier du terme. Les ruses du diable évoque le Paris populaire des années 60, celui des titis et des grisettes. Il flirte parfois avec le « roman photo » (avec ces jeunes filles qui rêvent de grandes histoires d'amour romantiques) en laissant la part belle aux chansons réalistes et aux épanchements mélodramatiques (certains gros plans sont d'une beauté ensorcelante). On songe alors bien évidemment à Jacques Demy, pas seulement parce que Geneviève Thénier jouera des petits rôles dans Les demoiselles de Rochefort et Peau d'âne mais parce qu'on y sifflote également, en guise de clin d’œil, l'air le plus fameux des Parapluies de Cherbourg.

La mise en scène est au diapason de ces deux voies qu'emprunte le film : d'un côté, un certain dénuement « nouvelle vague » (notamment au niveau du son qui rend parfois difficilement audible les dialogues) et une véritable sophistication formelle. A ce titre, le premier plan-séquence après le générique est d'une rare virtuosité, nous permettant de découvrir en un long travelling la cour de l'immeuble de Ginette et saisissant les mouvements des personnages comme un véritable ballet. Tout le film naviguera entre une certaine distanciation « moderne » (avec de nombreux regards caméra qui prennent le spectateur comme témoin) et un lyrisme sec hérité de Grémillon et du cinéma populaire français des années 30.

Cette inscription « populaire » donne une véritable force aux Ruses du diable d'autant plus que Vecchiali ne sombre jamais dans le naturalisme ou le misérabilisme. Au contraire, sa cousette n'hésite pas à envoyer tout balader, préférant aller faire l'amour avec son amant sur les bords de la Marne plutôt que de devoir subir son esclavage salarié.

Sans être insistant, le film offre une belle réflexion sur le destin (notamment lorsque Ginette retrouve une de ses amies devenue femme au foyer et qui pourrait être son « double »), le déterminisme et la liberté. Pour Vecchiali, tout ce qui relève du roman-photo, du mélodrame est un moyen pour offrir à son personnage une autre vie et une liberté, loin des déterminismes sociaux et des conventions.

Même si la liberté offerte à Ginette est sans doute illusoire et amère, elle est le signe d'un geste de générosité comme seul le cinéma peut en offrir...

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