C'est la vie ! (1981) de Paul Vecchiali avec Chantal Delsaux, Jean-Christophe Bouvet. (Editions La Traverse et éditions de l'oeil). Sortie en DVD en mai 2015

Mélo distancié

Au début des années 80, Paul Vecchiali sort du tournage de Corps à cœur, un film qui, selon ses dires, a beaucoup représenté pour lui. Il souhaite enchaîner sur un film plus léger et c'est en tombant sur une émission de Macha Béranger à la radio que lui vient à l'esprit l'argument de C'est la vie ! En effet, le film débute avec Ginette qui raconte, en direct, ses déboires sentimentaux (un mari qui l'a abandonnée avec ses deux enfants) à une présentatrice de radio. Mal dans sa peau, la jeune femme finira par rencontrer un autre homme...

Sur le papier, une intrigue sentimentale à trois sous et ce goût immédiatement identifiable de Vecchiali pour le mélodrame et les formes d'expressions populaires (la radio). Mais là où l'émission suinte la fausseté, le racolage, l'indifférence glacée sous couvert d'empathie ; le film va tenter de faire sourdre une vérité des sentiments et des émotions.

Au début du film, Ginette rétorque à la speakerine qui lui fait comprendre qu'elle n'est pas la plus malheureuse au monde qu'on n'est jamais malheureux par rapport aux autres mais uniquement par rapport à soi. Cette petite réplique (citée de mémoire) dit bien la teneur du cinéma de Vecchiali : se méfier d'une empathie globale pour le malheur, du chantage à l'émotion n'appelant chez le spectateur que des soupirs d'indignation pour « ces pauvres gens ». Au contraire, il tente de construire de véritables personnages pour trouver la note juste, une émotion qui n'aura rien de fabriquée.

De ce point de vue, C'est la vie ! est un véritable pari dans la mesure où il se déroule dans une banlieue parisienne anonyme. Le contexte social est donc omniprésent avec des barres d'immeubles qu'on aperçoit au fond des plans et un environnement de « no man's land » aux abords de ces villes dortoirs. Mais là où on pourrait craindre le naturalisme le plus étriqué, Vecchiali opte pour une stylisation formelle assez passionnante : des décors repeints comme dans un film de Demy ou de Godard (avec une prédominance du bleu, du jaune et du rouge), des terrains vagues qui deviennent une véritable scène de théâtre où les personnages s'expriment en longues tirades très écrites, presque musicales. Le tout filmé par de longs et virtuoses plans-séquences qui brisent l'illusion de la réalité pour laissé transparaître la théâtralité du projet.

La réussite du film tient à cette manière qu'a le cinéaste d'atteindre une certaine vérité (des émotions, des sentiments...) en jouant la carte de la plus apparente artificialité. Le roman-photo est alors transfiguré en mélodrame distancié, la tranche de vie sordide en une sorte de petit opéra populaire et lyrique.

S'il fallait émettre une petite réserve, nous dirions que le film semble parfois un peu trop « théorique » et que si certaines scènes frappent juste, d'autres souffrent parfois d'une certaine raideur et que Vecchiali ne parvient pas toujours à trouver le bon équilibre entre l'abstraction et l'incarnation.

Mais encore une fois, ce (tout) petit bémol n'empêche pas C'est la vie ! d'être un objet passionnant et stimulant, superbement interprété par une troupe de comédiens impeccables (on reconnaît les fidèles du cinéaste : Bouvet, Surgère et l'étonnante Chantal Delsaux), qui évoque aussi bien le cinéma de Jacques Demy (cette manière de transcender la grisaille du quotidien par la mise en scène, notamment à travers la chanson qui fait aussi son apparition ici) que celui de Fassbinder (une manière de filmer la réalité en la distanciant, de recourir aux ficelles les plus éculées du mélodrame pour en extraire une vérité bouleversante).

 

D'une certaine manière, le court-métrage La terre aux vivants (avec la grande Françoise Lebrun) témoigne, sur un mode mineur, de l'art si particulier de Vecchiali. Il s'agit visiblement d'une commande (institutionnelle ? Privée?) visant à promouvoir la crémation. Le film paraît assez ingrat au départ : image vidéo un peu baveuse, didactisme... Et pourtant, lorsque Vecchiali acteur dialogue avec Françoise Lebrun, quelque chose advient. Comme si rien n'empêchait le cinéaste de faire sourdre l'émotion, y compris à partir du matériau le plus malingre (une émission de radio dans C'est la vie !, un éloge de l'incinération...).

 

On aura compris à travers cette dernière note (provisoirement?) consacrée à Vecchiali : les quatre films édités par La Traverse et Les éditions de l’œil sont rigoureusement indispensables...

 

 

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