Tempête sur la colline (1951) de Douglas Sirk avec Claudette Colbert, Ann Blyth, Robert Douglas, Anne Crawford. (Éditions Elephant films). Sortie en DVD le 1er septembre 2015

La nonne et la criminelle

Tempête sur la colline est le deuxième film que Douglas Sirk tourne pour la Universal et il semble que le cinéaste ne portait pas ce mélodrame mâtiné de film noir dans son cœur. Tourné juste avant qu'il rencontre Rock Hudson qui deviendra son acteur fétiche, le film ne bénéficie pas non plus de l'équipe soudée (montage, musique, photographie...) dont Sirk va s'entourer par la suite et il n'a pas pu ici imposer totalement sa volonté d'auteur. Jean-Pierre Dionnet, qui présente le film en guise de supplément, rappelle que le cinéaste voulait, par exemple, faire un film avec des nonnes mais qui ne soit pas religieux. Or il est vrai que la fin n'évite pas totalement l'imagerie sulpicienne.

Pourtant, on aurait tort de se fier totalement au jugement de l'artiste car Tempête sur la colline est vraiment un très beau film, assez étonnant par bien des aspects.

Alors qu'une inondation menace un village tout entier, les habitants trouvent refuge en haut d'une colline, dans un couvent. Parmi ces réfugiés, il y a Valerie Carns (Ann Blyth) et ses gardes qui doivent l'escorter jusqu'à Northwich. Accusée d'avoir tué son frère, la jeune femme doit y être exécutée. Mais sœur Mary (Claudette Colbert) la prend sous son aile et, persuadée de son innocence, entreprend de faire la lumière sur cette mort mystérieuse...

 

La trame du récit est celle d'un film noir : même si le spectateur est très vite convaincu que Valerie est innocente, il va s'agir de prouver qu'elle n'a pas tué et de démasquer le véritable coupable. Même si Sirk ne joue pas sur la carte du suspense, l'esthétique de son film doit énormément à celle du film noir, notamment dans une belle séquence où sœur Mary parvient à rejoindre le village en barque (avec son complice, elle navigue dans une brume totalement irréaliste mais qui donne une tonalité onirique aux plans) ou encore le finale dans un clocher. Mais ce n'est pourtant pas cet aspect qui semble le plus passionner le cinéaste. Très vite, il opte pour une dimension intimiste qui fait l'intérêt de Tempête sur la colline. Prisonniers dans un couvent, les personnages vont se révéler à travers ce (quasi) huis-clos. Comme il le fera souvent par la suite, Sirk joue sur des oppositions assez tranchées pour ensuite les nuancer, les éclairer autrement.

Valerie représente au départ une certaine image de la meurtrière : brune, elle fume dans un hôpital et refuse la charité que lui offre la sœur Mary. Celle-ci est, au contraire, une incarnation de la bonté et de l'abnégation chrétienne, capable de désobéir aux ordres pour écouter son cœur et ses convictions. Incarnée de manière parfaite par la diaphane Claudette Colbert, sœur Mary avait tout pour être un personnage monolithique et finalement assez fade. Pourtant, on sent déjà d'une certaine manière l'ironie de Sirk lorsqu'il parvient à suggérer que vouloir à tout prix le Bien peut aussi avoir des effets néfastes. Pour aller chercher l'amant de Valerie, Mary quitte son poste d'infirmière et met en danger la vie d'un nouveau-né. Par petites touches, le cinéaste parvient à montrer que les personnages ne sont pas fait d'un bloc et que chacun possède sa petite ambiguïté : le coupable peut aussi être un amoureux éperdu ; la sœur, a trop vouloir faire le bien, fait preuve d'un certain autoritarisme que lui reproche une de ses collègues...

Mais c'est grâces à ces faiblesses et ces zones d'ombre que l'auteur parvient à faire vibrer la corde du mélodrame. Pour utiliser un terme galvaudé, il parvient à estomper les contours stéréotypés de ses personnages pour atteindre une certaine vérité humaine. Chez Sirk, cette vérité ne se trouve pas forcément du côté de la Loi et encore moins de la société qui exclut systématiquement ceux qui sortent de son ornière (la « criminelle » n'a droit à aucune considération de la part des villageois qui ne remettent jamais en question sa culpabilité). La grandeur de son cinéma, c'est de toujours choisir le camp de ceux qui sont « coupables » et exclus par le regard des autres : la femme qui préfère choisir un jeune amant modeste contre l'avis de sa famille (Tout ce que le ciel permet), la domestique noire dans Mirage de la vie, etc.

Tempête sur la colline annonce également, d'une certaine manière, Le secret magnifique avec cette idée d'un ordre « supérieur » (pour ne pas employer des termes trop religieux) qui vient remédier aux défaillances de la justice des hommes. La cloche qui sonne joue ici comme un élément de suspense dans la résolution de l'intrigue du « thriller » mais c'est également un symbole religieux, une voix de la « vérité » qui finit par se faire entendre.

Sobre et nuancé, Tempête sur la colline est un beau film qui parvient à unir dans un même mouvement un mélodrame intime poignant et un film noir à l'atmosphère très réussie...

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