La petite boutique des laideurs

Paradis : foi (2012) d'Ulrich Seidl avec Maria Hofstätter  

La petite boutique des laideurs

Paradis : foi est le premier film que je vois d'Ulrich Seidl. C'est aussi le deuxième volet d'une trilogie qui comprend Paradis : amour (défendu par mon camarade Édouard) et Paradis : espoir.

On aura immédiatement compris que pour le sémillant Seidl, ces titres ont valeur d'antiphrases puisque ses paradis ne sont que des prisons et que le cinéaste nous cueille à froid sans pincettes. Anna, l'héroïne du film, s'agenouille devant un crucifix, marmonne une vague prière où elle se lamente sur les mœurs sexuelles de ses contemporains, se déshabille et se flagelle en guise de mortification.

Le cadre est rigoureux, le plan fixe et le cinéaste conservera constamment cette distance entre le spectateur et les personnages qu'il filme. D'ailleurs, la plupart des plans tournés dans la maison d'Anna seront similaires : on revient dans les mêmes pièces avec le même angle de prise de vue et la même valeur de cadre. Paradis : foi est un film qui fonctionne donc sur un dispositif qui rappelle un peu celui des caméras de surveillance puisque jamais le cinéaste ne se départira de son extrême froideur de prof sévère (en ce sens, il est assez proche de son compatriote Haneke).

 

Mais revenons au résumé du film. Anna travaille dans un hôpital et occupe ses vacances à prêcher sa foi dans les foyers. Elle cohabite également avec son mari, un invalide musulman, qui revient au domicile conjugal après une longue absence.

 

Le motif principal de Paradis : foi est la haine et le ressassement. Pourquoi pas ? Après tout, Seidl n'est pas pour rien le compatriote de Thomas Bernhard qui a construit son œuvre autour des mêmes principes : haine de la religion, haine de la famille et de l'Autriche en général. Sauf qu'à l'inverse de l'écrivain, Seidl ne se « mouille » jamais et qu'il reste toujours à une distance confortable pour dérouler son petit théâtre de la laideur.

Première cible : le catholicisme. Anna est une bigote, nous dit le cinéaste, d'abord parce qu'elle est frustrée sexuellement. Cette frustration se change en haine de soi et pousse cette femme à s'infliger les pires sévices : déambulation à genou dans la maison, coups de fouet... Si on n'avait pas bien saisi, Seidl nous propose une scène où Anna embrasse langoureusement son crucifix et l'emporte dans son lit pour des gestes que Dieu et la morale réprouvent pourtant !

De même, lorsque l'héroïne évangélise les individus chez qui elle se rend, Seidl insiste sur son côté horriblement intrusif et son prosélytisme odieux.

Mais ce n'est pas le caractère caricatural et finalement assez facile de cette critique de la religion qui gêne que l'extrême mépris qu'affiche le cinéaste pour son personnage. D'emblée, il est montré comme un pantin qui n'existe que par ses actions absurdes. Jamais Seidl n'interroge le mysticisme d'Anna (n'est pas Dumont qui veut) ou n'offre au spectateur une autre alternative.

Car tout le dispositif est parfaitement verrouillé. Le cinéaste fait mine, par provocation, d'inverser les termes habituels de l'équation en faisant de la femme le bourreau et de l'homme la « victime », du catholicisme une religion de terreur alors que l'islam est montré ici sous un angle apaisé mais, au bout du compte, le résultat est le même. Qu'elle se fouette elle-même ou qu'elle s'en prenne à sa croix à la toute fin lorsqu'elle réalise que Dieu est totalement absent ; Anna est le dindon d'une farce dont personne ne sort indemne et où tout le monde est renvoyé dos-à-dos.

Prenons un exemple précis, particulièrement révélateur de l'échec du film : le rapport à la sexualité. Dans un premier temps, Seidl raille l'ascèse et la frustration que la religion génère chez Anna. Or, le temps d'une scène peu crédible, la bigote tombe sur une partouze en pleine nature qui lui glace le sang. On pourrait penser qu'à la tempérance catholique, le cinéaste va opposer la célébration des sens et des désirs. Mais grâce à son système d'équivalence verrouillé, la scène est d'une laideur à rendre abstinents tous les DSK de la terre !

 

Tout fonctionne sur ce principe dans Paradis : foi : l'humanité n'y est filmée que sous l'angle de la laideur et du grotesque. Il y a chez Seidl une vraie complaisance à filmer les corps flétris (la scène de l'hôpital), les chairs molles et froides... On pourra me rétorquer qu'il est bien de voir sur un écran ces corps atypiques, ceux qu'on n'a pas l'habitude de voir. Sauf que je suis bien persuadé qu'on peut trouver une vraie beauté dans la vieillesse ou les rondeurs et que tout dépend du regard du cinéaste. Par curiosité, je suis allé voir la date de naissance de Maria Hofstätter et il se trouve que c'est exactement la même que celle d'Agnès Jaoui. Or si on compare la manière sensuelle et amoureuse avec laquelle cette dernière est filmée par Bruno Podalydès dans Comme un avion et celle qu'emploie Seidl pour montrer sa pauvre et courageuse comédienne ; on réalise que la beauté n'est en aucun cas une affaire d'âge ou de tour de taille !

 

Le cinéma cynique de Seidl se résume à un mot : l'épinglage. Ses personnages ne sont que des poissons qui se cognent au paroi d'un aquarium et que le cinéaste regarde en ricanant.

Je ne nie pas qu'il possède indubitablement un style mais je trouve le résultat aussi insupportable que déplaisant...  

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