Le sang des vierges
La Comtesse (2008) de et avec Julie Delpy et William Hurt
Pour son troisième long-métrage, Julie Delpy s’attaque à l’un des personnages historiques les plus fascinants qui soit : la comtesse Erszébeth Bathory, aussi surnommée « la comtesse sanglante » en raison de sa cruauté et des nombreuses mises à mort ayant eu lieu sous son règne. Comme souvent avec de tel personnage, la légende a peu à peu pris le pas sur la « réalité » et le mythe a enflé : plus personne ignore aujourd’hui l’image de cette comtesse se baignant dans le sang de jeunes filles vierges afin de rajeunir. Un mythe qui fut à l’origine de Carmilla, le roman de Sheridan Le Fanu qui inspira lui-même le Dracula de Bram Stocker.
Au cinéma, la comtesse est apparue plusieurs fois : que ce soit dans sa version « vampirique » (le beau Comtesse Dracula de Peter Sasdy) ou dans sa version « érotique » (le dernier segment des Contes immoraux de Borowczyk) mais, cette fois, Julie Delpy lui consacre un film qui se veut « biographique ».
Avant d’aborder le « fond » de cette œuvre, quelques mots de la « forme ». La Comtesse souffre d’une narration très scolaire et manquant de souffle : voix-off pataude, reconstitution un peu pauvre, réalisation académique… Qu’il s’agisse du prologue bien languissant ou du cœur du film (la folie meurtrière de l’héroïne), tout cela manque un peu de nerfs et de rythme.
Il est vrai qu’en choisissant d’évoquer la figure de la comtesse Bathory, la cinéaste n’a pas choisi la facilité. Soit elle pouvait ajouter une pierre à l’édifice de la mythologie des exploits sanglants de cette femme, soit prendre le partie de détruire ce mythe, mis à mal par les historiens d’aujourd’hui (les meurtres imputés à la comtesse ayant toujours été avoués sous le régime de la torture). Le grand problème du film, c’est que Delpy n’adopte pas de réel parti-pris.
D’un côté, elle joue avec l’imagerie populaire de cette comtesse pour faire frissonner le spectateur avec quelques scènes sanglantes (lames de rasoir qui pénètrent les chairs, la fameuse « vierge de fer »…). De l’autre, elle finit par présenter son héroïne comme une victime d’une machination. Victime pour quelle raison ? Je vous le donne dans le mille : parce que c’est une femme ! En ce sens, La Comtesse est bien un film de notre époque où il paraît inenvisageable de considérer la femme autrement que comme une victime d’un complot masculin. Qu’une femme puisse faire preuve de cruauté, ne serait-ce que par sadisme ou parce que le pouvoir corrompt et accentue le désir d’écraser les plus faibles (de Margaret Thatcher à Lynndie England à Abou Ghraib, les exemples existent pourtant) semble rigoureusement impossible. Que la comtesse Bathory ait été victime de ses adversaires, c’est fort possible (non pas parce que c’est une femme mais parce que les machinations pour écarter un puissant ont toujours existé). Mais en ne considérant cette femme que comme une victime, Delpy l’affadit totalement et manque ce qui aurait dû être l’enjeu principal de son film : explorer les gouffres de la nature humaine. De fait, La Comtesse est, de ce point de vue, ce que le magazine Causette et les bloggeuses incultes d’aujourd’hui (celles qui voient la « culture du viol » dans une toile de Fragonard ou un « violeur potentiel » derrière chaque homme) sont à Sade ou à Bataille.
De la même manière, la fausse bonne idée du film est de montrer que la comtesse agit avant tout par amour. C’est une passion dévorante pour un jeune amant qui la pousse à tenter, coûte que coûte, de préserver sa jeunesse. Sauf qu’on ne sent jamais les ravages et la chaleur de cet amour irraisonné.
Finalement, le seul petit intérêt du film est Julie Delpy elle-même. Comédienne attachante, elle se met en scène sans se faire de cadeau, n’hésitant pas à s’enlaidir (ce qui est, convenons-en, une sacrée gageure !) et à se vieillir.
Le vrai sujet du film réside sans doute ici : non pas faire le portrait de la célèbre Bathory mais plutôt celui d’une comédienne qui doit désormais se battre et s’endurcir pour pouvoir exister dans un monde où la dictature de la jeunesse est particulièrement rude, surtout pour les femmes (il faut bien le reconnaître). Par moment, cet autoportrait d’une actrice qui ressent le poids des années a quelque chose d’assez touchant. Julie Delpy n’hésite pas à se mettre à nu (à tous les sens du terme) et elle est magnifique.
Malheureusement, sa « performance » ne suffit pas à sauver une œuvre scolaire, démonstrative et plutôt terne…