The Exterminator (1980) de James Glickenhaus avec Robert Ginty, Samantha Eggar, Christopher George. (Éditions Carlotta Films) Sortie en DVD le 6 juillet 2016

Un justicier dans la ville

The Exterminator représente d’une certaine manière la quintessence d’un sous-genre du cinéma d’exploitation, vilipendé comme il se doit par la critique officielle : le “vigilante movie”. Dans la lignée de l’inspecteur Harry et, surtout, du personnage incarné par Charles Bronson dans la série des Justicier dans la ville, le « vigilante movie » prône avec ardeur l’autodéfense et la loi du Talion : puisque la justice et la police ne font pas leur boulot, c’est au citoyen lambda de prendre les armes et de punir les délinquants !

Il ne s’agit donc pas de se voiler la face et de passer sous silence les ambiguïtés idéologiques de ce genre de films. Il ne s’agit pas non plus de tomber dans le travers (également idéologique) d’une certaine tendance de la critique toujours prompte à taxer de « fascisme » (ce qui est d’ailleurs un contresens total pour ce sous-genre profondément américain et attaché à une forme extrême d’ultra-individualisme) les œuvres de cette tendance. L’ambiguïté me paraît au contraire une qualité dans la mesure où certains de ces « vigilante movies » sont moins monolithiques qu’ils ne le paraissent (je ne parle bien évidemment pas des horreurs signées Joël Schumacher comme 8mm ou Le Droit de tuer ?

Prenons le cas de cet Exterminator. Il faudrait être aveugle pour ne pas souligner la manière dont le cinéaste filme les situations les plus outrancières pour justifier la vengeance de son ange exterminateur : voyous sans foi ni loi qui n’hésitent pas à s’en prendre à une petite grand-mère, mafieux ignobles, proxénète adepte de la traite des blanches et qui vend des petits garçons à des délinquants sexuels de la pire espèce (un sénateur, d’ailleurs !)… Ces traits grossiers sont une évidence et on ne peut en aucun cas exonérer le film de ces scories.

En revanche, je pense qu’on aurait tort de se limiter à cet aspect et de ne considérer le film de Glickenhaus que comme une machine de propagande en faveur de l’autodéfense. Une des images les plus sidérantes du film est, à mon sens, celle où l’on voit le héros plongé dans… l’ Anarchist cookbook, le fameux et controversé « manuel » de propagande anarchiste. Même si c’est de manière beaucoup moins nuancée, The Exterminator rappelle certains films de Clint Eastwood en ce sens que son individualisme forcené possède une évidente dimension « réactionnaire » mais qu’il est aussi marqué par un étonnant anarchisme qui fait de ce « héros » une sorte de Robin des bois moderne s’en prenant aux plus forts (un ponte de la mafia passé dans un hachoir à viande, un sénateur pervers puni à l’endroit où il a fauté…) pour défendre les plus faibles : la petite prostituée qu’un odieux proxénète a marqué au fer à souder, la grand-mère battue par des petits voyous… Par certains côtés, le film s’avère même plutôt progressiste puisque la première victime est le meilleur ami noir de « l’exterminateur ». Glickenhaus dénonce d’une certaine manière le racisme latent de son pays et c’est d’abord pour défendre la veuve et les orphelins que John Eastland débute sa croisade justicière. Alors, bien sûr, le cinéaste prend soin de nous préciser que ce meilleur ami est parfaitement intégré au « melting-pot » américain, que c’est un honnête travailleur (son patron lui offre une augmentation) et qu’il n’hésite pas à se mettre en danger pour préserver la propriété privée.

Mais, là encore, on passe à côté du film si on ne prend pas en compte son caractère profondément américain (ce n’est pas pour rien que la statue de la liberté est filmée au générique de début et celui de fin) : un attachement indéfectible à la liberté individuelle qui se termine d’ailleurs par une apologie de l’euthanasie.

Il convient également de dire un mot du prologue particulièrement sanglant et éprouvant du film. On y voit Eastland et son ami tomber dans le piège de combattants vietnamiens particulièrement cruels (un soldat aura la tête tranchée) avant de s’en sortir et d’exécuter leurs « bourreaux ». Là encore, Glickenhaus inscrit son film dans un traumatisme typiquement américain (cette guerre absurde au Vietnam) et fait de son héros, à l’instar du chauffeur de taxi de Scorsese ou de John Rambo, un vétéran du conflit vietnamien. Là encore, The Exterminator n’est pas aussi monolithique que l’on pourrait le croire. Comme Travis Bickle,  Eastland se prend pour un ange purificateur prêt pour le grand nettoyage des rues de New-York (il faut se rappeler que le taux de criminalité et de délinquance était alors très élevé dans cette ville à cette époque). De l’autre, le cinéaste montre également la profonde ambiguïté des actions de son personnage en dressant un parallèle entre la façon dont il procède (emprisonnement, questionnement, tortures…) et les gestes effectués jadis par les soldats vietnamiens. Même si c’est au nom du Bien, la violence qui meut l’exterminateur reste insoutenable et le spectateur a du mal à s’identifier complètement à ce personnage.

Cette ambiguïté empêche le film d’être déplaisant d’autant plus que le cinéaste ne sacrifie pas son récit (assez simpliste) au culte de l’action et du muscle. En adoptant une certaine « retenue » (je parle en terme de mise en scène et de montage, pas en terme de représentation de la violence qui, pour le coup, est assez éprouvante), Glickenhaus signe un film non dénué d’un certain schématisme mais qui évite néanmoins de se vautrer dans un discours univoque du républicain bas du front.

Entre l’éloge parfois douteux de la liberté individuelle (douteux parce qu’entièrement axé autour de la défense de la propriété privée) et un certain anarchisme youpitant, The Exterminator mérite d’être redécouvert même si le spectateur devra se débarrasser de ses œillères idéologiques…

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