Nihilisme contemporain
Hostel (2006) d’Eli Roth avec Jay Hernandez
Difficile d’écrire quelques mots sur Hostel dix ans après tout le monde, surtout après avoir lu l’excellent essai de Pascal Françaix sur le “Torture porn”. C’est donc tout naturellement en emboitant ses pas que l’on est tenté de voir dans le film d’Eli Roth le symbole même d’une certaine horreur « post-moderne ». Mais le mot est à double tranchant, surtout si l’on songe qu’Hostel a été produit par Tarantino et qu’on imagine un film recyclant les formes du passé pour accoucher d’une œuvre au second degré à la violence gratuite.
Or la force du film d’Eli Roth vient justement de son absence d’humour. Même si le cinéaste reprend à son compte quelques codes des sous-genres du cinéma horrifique (le slasher et ses ados décimés petit à petit, la nazisploitation…), il prend très au sérieux son histoire et parvient à construire un univers cohérent et assez impressionnant.
Tout le monde connaît désormais l’histoire de ces trois jeunes garçons en vacances à Amsterdam en quête de plaisirs effrénés. Un soir de beuverie, ils font connaissance avec un jeune homme qui leur promet monts et merveilles et les filles les plus belles du monde en Slovaquie. Sur place, nos trois godelureaux sont accueillis par de sublimes hôtesses qui sont, en fait, des rabatteuses pour une agence très spéciale qui propose à de riches pervers de torturer et de tuer leurs victimes…
Superficiellement, on pourrait assimiler Hostel aux slashers d’antan dans la mesure où les adolescents punis le sont parce qu’ils ont fauté (sexe, drogue…). Mais le film d’Eli Roth va plus loin que ça et témoigne, à sa manière, de l’impasse dans laquelle se sont engagées les sociétés consuméristes et hédonistes. Lors d’une scène très forte, l’un des trois héros rencontre un tortionnaire américain qui lui explique qu’il est blasé des plaisirs classiques (« une chatte reste une chatte », dit-il élégamment) et qu’il cherche désormais de l’inédit, des sensations qu’il n’a jamais vécues et que lui propose cette agence. Toutes proportions gardées, Hostel s’inscrit plutôt dans la lignée du Salo de Pasolini et de son constat impitoyable visant à montrer que l’hédonisme libéral poussé à son extrémité débouche sur le fascisme et la mort. Ce nihilisme post-moderne est sans doute l’aspect le plus fort d’Hostel, dont certaines images font penser aux pages les plus sombres de l’Histoire, que ce soit bien entendu le nazisme (avec cet horrible boucher qui découpe et brûle les corps des victimes sacrifiées) mais aussi les tortures plus récentes dans les geôles d’Abu Ghraïb. Ce sont d’ailleurs ces résonnances qui impressionnent le plus dans un film qui perd un peu de sa puissance lorsqu’il figure directement les exactions (doigts coupés, œil arraché…). Les scènes gore sont finalement moins effrayantes que l’atmosphère particulièrement réussie que le cinéaste arrive à mettre en place, notamment ce décor incroyable que constitue cette vieille usine désaffectée ou encore tous ces instruments chirurgicaux que l’on aperçoit de temps en temps et qui feront le bonheur des bourreaux.
Bien sûr, on pourra aussi sourire devant les stéréotypes que convoque Eli Roth lorsqu’il s’agit de filmer les pays de l’Est avec ses enfants tueurs près à tout pour un chewing-gum, ses filles faciles aux allures de stars du porno ou ses gorilles à la mine patibulaire. De la même manière, certains artifices du scénario se révèlent un peu grossiers, notamment lorsque le héros se retrouve face aux trois personnes qui ont provoqué toutes ces épreuves et qu’il n’a qu’à donner un coup d’accélérateur pour s’en débarrasser. Mais ces facilités n’empêchent pas Hostel d’être un bon film qui renouvelle de façon très habile les codes du cinéma d’horreur.
Dans le tout dernier acte du film, la victime se transforme, comme dans un bon Rape and revenge, en bourreau. Même si le cinéaste ne développe sans doute pas assez cet aspect qui aurait pu conférer une vraie ambiguïté à son œuvre, il s’inscrit là encore dans un relativisme très contemporain où les frontières entre le Bien et le Mal se sont totalement estompées. Il y a dans Hostel une réversibilité des rôles qui confine parfois au cynisme mais qui met à mal la notion même de victime et de bourreau.
Si l’Horreur se niche bien évidemment dans les exactions perpétrées par les bourreaux (et que Roth filme quand même avec une certaine distance qui les rend encore plus inadmissibles) mais aussi, plus profondément, dans l’âme même des individus capables à tout moment de basculer du côté du pire…