Sur quelques films...
Abattoir 5 : *
(1972) de George Roy Hill.
Adaptation d’un célèbre roman de Kurt Vonnegut, Abattoir 5 est un film étrange qui donne parfois l’impression de lorgner vers la science-fiction puisque son héros a le don de voyager dans le temps et son propre passé mais qui pourrait tout aussi bien n’être qu’un délire mental d’un homme au seuil de la mort. La première chose qui frappe, c’est la complexité d’un récit qui saute d’époque en époque, de la seconde guerre mondiale à un futur lointain où Pilgrim se retrouve sur une planète lointaine. Il faut concéder à George Roy Hill une certaine dextérité pour agencer tous ces fragments sans perdre son spectateur. Mais une fois que la machine est rodée, on a aussi un peu le sentiment que tout cela tourne à vide. Cette virtuosité de la forme empêche finalement le cinéaste d’atteindre le but qu’il semble s’être fixé puisque jamais Abattoir 5 n’aura la causticité du M.A.S.H d’Altman et sa fable antimilitariste (parfois ambiguë puisqu’il semble que le pire crime de la seconde guerre mondiale soit… le bombardement de Dresde !) n’a pas la puissance universelle et l’intensité de Johnny got his gun de Trumbo (par exemple). Reste un exercice de style très habile mais qui lasse assez vite.
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Les Passagers de la nuit : ***
(1947) de Delmer Daves avec Lauren Bacall, Humphrey Bogart
Troisième apparition à l’écran du couple mythique Bogart/Bacall dans un film noir beaucoup moins alambiqué que ceux de Hawks (Le Grand sommeil en tête) mais néanmoins passionnant. Delmer Daves adapte ici un roman de Goodis et met en scène l’évasion de prison d’un homme accusé à tort d’un crime qu’il n’a pas commis. Vince Parry est recueilli par Irene Jansen (Lauren Bacall) qui cherche à l’aider. Pour échapper à la police, Parry décide également d’avoir recours à la chirurgie esthétique et de se faire un nouveau visage.
Si la résolution de l’intrigue se révélera assez convenue, la réalisation de Daves, en revanche, est d’une grande virtuosité. Une des plus belles idées du film est celle de cette « nouvelle vie » qui débute grâce à un nouveau visage. Plutôt que d’avoir recours à des postiches ou d’autres stratagèmes plus ou moins convaincants, le cinéaste décide de ne pas montrer le visage de Parry pendant les deux premiers tiers du film (soit une heure !). Du coup, il trouve des astuces de mise en scène toujours judicieuses : le recours à la caméra subjective qui créé une tension permanente sans virer à l’exercice de style pour cause de systématisme (Cf. La Dame du lac), un visage plongé dans l’ombre ou masqué par des bandelettes après l’opération… Il est étonnant de voir comment Daves parvient à donner une épaisseur et une présence incroyables à son personnage alors qu’on ne le voit pas. Il est bien évidemment épaulé par Bogart dont la voix caverneuse et le regard font merveille. Il fallait une star et un comédien de sa stature pour permettre au fugitif d’exister à l’écran. Face à lui, Bacall est également merveilleuse, entre dévouement et haute idée de la justice (elle fut touchée autrefois par une erreur judiciaire du même genre). On n’insistera pas sur la profondeur de son regard et le velouté profond de sa voix : tout a déjà été dit.
Les Passagers de la nuit n’est sans doute pas le plus grand film noir produit par Hollywood mais reste un grand classique qui se savoure sans modération.
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Hostel : chapitre 2 : **
(2007) d’Eli Roth
Après le grand succès d’Hostel, Eli Roth se devait de revenir sur les lieux de ses forfaits. Il solde dans un premier temps les comptes du premier volet en éliminant l’unique rescapé afin de nous emmener ensuite en Italie auprès d’étudiantes aux Beaux-Arts qui décident de passer quelques temps à Prague. Séduites par un modèle, elles se laissent convaincre d’aller en Slovaquie où elles deviendront les proies de la fameuse agence meurtrière…
Avec un scénario pareil, on pouvait craindre qu’Eli Roth ne se contente d’un remake au féminin de son premier film. Même s’il joue bien évidemment sur certaines similitudes (y compris le clin d’œil au producteur Tarantino avec un extrait de Pulp fiction dans les deux films), Hostel chapitre 2 apporte un nouvel éclairage sur le projet en s’intéressant aussi aux bourreaux. En effet, parmi les riches pervers qui prennent du plaisir à torturer et à tuer des victimes inconnues, Roth nous présente deux américains dont l’un semble surtout suivre son ami. Du coup, le film joue à la fois sur la familiarité (des pères de famille assez banals quoique très riches) et sur le caractère vertigineux des actions qu’ils vont commettre. Comme le premier volet, le film est assez remarquablement construit et sait doser ses effets. A part le violent prologue, il faudra attendre une heure avant d’assister au premier meurtre sous la forme d’un éprouvant hommage à la comtesse Bathory. En prenant désormais des victimes féminines, Roth interroge également le regard masculin de rigueur dans ce genre horrifique. Alors qu’il y aurait pu avoir une tentation évidente de « sadiser » des femmes objets, le cinéaste détourne habilement les codes du genre en jouant une fois de plus la carte de la réversibilité victime/bourreau (nous n’en dirons pas plus). Avec un certain talent, il montre également, avec un certain nihilisme, la limite très poreuse qui sépare l’homme ordinaire du criminel le plus sadique.
Seul petit bémol : une tentation un peu plus « ironique » par rapport au sérieux du premier volet. Roth se réfère plus explicitement à un certain cinéma d’exploitation, que ce soit en terme de codes narratifs (la « nazisploitation », le « rape and revenge »…) mais aussi en terme de clins d’œil avec les apparitions savoureuses de la grande Edwige Fenech et du cannibale Ruggero Deodato. En ayant plus conscience de ses effets, le cinéaste perd de la terreur brute qu’inspirait son premier Hostel. Mais le résultat est néanmoins plutôt réussi.