Tuez Charley Varrick ! (1973) de Don Siegel avec Walter Matthau

Impitoyables

Sur le papier, Tuez Charley Varrick ! pourrait être un film de John Huston : un cambriolage qui tourne mal, des malfrats en fuite qui réalisent qu’ils ont dévalisé de l’argent sale et qui se retrouvent avec les flics et la mafia aux trousses… Mais alors que Huston réalisait ses films dans une période encore marquée par les grands dilemmes moraux (le Bien et le Mal),  la croyance dans le destin et en une certaine forme de châtiment pour ceux qui tentaient de rivaliser avec Dieu (Moby Dick, Le Trésor de la Sierra Madre) ; Don Siegel s’attache quant à lui à la lutte impitoyable de l’individu pour sa propre survie.

En ce sens, il s’inscrit plus dans la lignée d’un Aldrich et son film témoigne également d’un certain individualisme américain confinant au pur cynisme. Charley Varrick est un personnage passionnant dans la mesure où il est à la fois l’opposé de Dirty Harry (le personnage le plus mythique de Don Siegel) mais aussi son double. L’un agit au nom de la Loi tandis que l’autre est un gangster mais leurs méthodes, leur individualisme et leur mépris pour toute forme d’autorité sont assez similaires.

Dès que le hold-up a été commis, Don Siegel nous plonge dans le bain : la femme qu’aimait Charley a été blessée mais il n’hésite pas une seconde à la « sacrifier » pour sauver sa peau. A partir du moment où il réalise qu’il est dans le pétrin (la police l’inquiète moins que les hommes de main de la mafia), tous les moyens sont bons pour sauver sa peau, y compris la manipulation, la dissimulation et la trahison des complices. Pas le moindre optimiste chez le cinéaste et même un certain cynisme dans la mesure où le « coupable » n’est pas forcément puni et où l’on ne trouve chez lui aucune trace de rédemption.

La mécanique impitoyable qu’il met en branle pour montrer ce processus de lutte acharnée pour la survie est réglée comme du papier à musique. La mise en scène est sèche comme un coup de trique, sans le moindre temps mort. Certes, on pourra reprocher à Don Siegel son manque de profondeur et ses manières un peu désinvoltes quant à la construction dramatique de son récit (les personnages qui ne servent plus directement l’action sont évincés). Pour prendre un exemple précis, les quelques personnages féminins qui gravitent autour de l’action ne sont pas très gâtés : la complice du hold-up est tuée et les autres ne servent que de faire-valoir aux bandits qui s’affrontent (une gifle et l’une d’entre elles succombe aux charmes virils du « mâle »).

On ne peut donc pas dire que Don Siegel soit un cinéaste de la fioriture faisant dans la dentelle. Mais du point de vue de l’action, il est d’une rare efficacité. Tuez Charley Varrick s’inscrit d’ailleurs aussi dans une certaine descendance hitchcockienne, notamment La Mort aux trousses dont il est une sorte de relecture moderne. Dans les deux cas, le héros est pris dans un engrenage infernal qui le dépasse, à cette différence près que Roger Thornhill était innocent. Et le cinéaste se permet même un hommage direct lorsque Walter Matthau, lutinant sa compagne, évoque un passage « south by southwest » et qu’il se retrouve, dans une séquence suivante, aux commandes d’un petit avion identique à celui qui menaçait Cary Grant dans le film d’Hitchcock.

En poussant à son paroxysme l’ironie cynique du « maître du suspense », Siegel réalise un film qui n’a rien d’un chef-d’œuvre mais dont la mise en scène, implacable, emporte l’adhésion et témoigne de l’individualisme forcené de ces années 70 marquées (déjà) par le reflux des utopies collectives…

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