Goto, l’île d’amour (1968) de Walerian Borowczyk avec Pierre Brasseur, Ligia Branice

Blanche (1971) de Walerian Borowczyk avec Michel Simon, Georges Wilson, Ligia Branice, Jacques Perrin

(Editions Carlotta films). Sortie en DVD le 22 février 2017

Marathon Borowczyk : 2

Goto, l’île d’amour et Blanche constituent une étape importante dans l’œuvre de Borowczyk et apparaissent aujourd’hui comme des jalons essentiels. En effet, ce sont d’abord ses deux premiers longs-métrages en prises de vue réelles et ils prolongent d’une certaine manière les thèmes de ses courts d’animation.  

Ces deux films constituent également une parenthèse dans la mesure où, dès son film suivant (les Contes immoraux), le cinéaste ne quittera plus les territoires d’un érotisme quasiment inexistant ici. Une étape donc, et un échelon avant de passer à autre chose. Sauf que ce qui se met en place ici, c’est un véritable style qu’on a déjà vu émerger dans les courts-métrages et que l’on retrouvera par la suite dans ses œuvres plus osées.

Comment définir ce style ? Chez Borowczyk, la grammaire traditionnelle du cinéma est malmenée en ce sens qu’il se réfère davantage aux cinéastes primitifs (Méliès en premier lieu) qu’au découpage classique inventé (je fais simple) par Griffith. Plutôt que de plonger au cœur de la scène, il nous propose une succession de tableaux très habilement composés, une suite de plans frontaux ne possédant aucune profondeur. La seule chose qui permet de suggérer cette profondeur et la présence d’un hors-champ, ce sont ces fenêtres ou ces portes qui aèrent les compositions et qui permettent ces jeux de regards chers à Borowczyk : le dictateur de l’île Goto découvre que sa femme le trompe en observant à la jumelle depuis une fenêtre, par exemple.

Du coup, le cinéaste soigne la composition de ses « tableaux », jouant la carte d’une certaine claustrophobie : murs grisâtres ou en briques nues dans Goto, l’île d’amour, reconstitutions minutieuses de l’intérieur d’un château à la manière des miniatures du Moyen-Âge dans Blanche. Comme dans ses court-métrages, il accorde également une attention toute particulière aux objets dont l’agencement (instruments de musique, objets scientifiques anciens…) donne aux plans leur caractère insolite. Cette manière de progresser en une succession de tableaux pourrait faire songer à un cinéaste comme Peter Greenaway. Sauf qu’il n’y a pas de dogmatisme chez Borowczyk ni une volonté de tout maitriser à tout prix. Il n’hésite pas à proposer des séquences plus « aérées », promesses de fugues non tenues que ce soit le passage sur la plage de Goto ou la balade en forêt dans Blanche. Et puis il y a la rapidité de ces travellings latéraux, la sécheresse du montage, les quelques plans tremblés tournés caméra à l’épaule qui donnent le sentiment que l’auteur ne veux pas s’appesantir sur la joliesse de l’image mais qu’elle participe entièrement à la création d’un univers singulier. Cet univers, il vient d’ailleurs des courts-métrage et l’on songe notamment souvent à Rosalie dans cette façon de faire se succéder des gros plans sur les personnages interrompus par des « natures mortes » qui « aplanissent » en quelque sorte le panorama d’ensemble puisque les personnages sont mis au même niveau que les décors et les objets.

Marathon Borowczyk : 2

Cette esthétique n’est pas gratuite et traduit à merveille l’un des grands thèmes de Borowczyk : celui de l’enfermement et de l’oppression. Goto, l’île d’amour est une fable à la Jarry où un modeste serviteur (Grozo) gravit successivement tous les échelons pour grimper dans la hiérarchie de l’organisation dictatoriale de l’île de Goto. Il est d’abord engagé pour nettoyer les chaussures du gouverneur et de son épouse, nourrir leurs chiens mais aussi pour… tuer les mouches ! Avec beaucoup d’ironie, le cinéaste décrit une organisation totalitaire aussi absurde que dangereuse puisque toute ligne de fuite semble interdite, notamment pour la belle Glossia, l’épouse du dictateur qui voudrait s’enfuir avec son amant. Dans Blanche, on retrouve également un personnage de jeune épouse  (incarnée par la muse de Borowczyk, l’étonnante Ligia Branice) cloitrée par un vieux seigneur (Michel Simon) dans son château. L’arrivée du roi et de son page dans les murs de cette forteresse va provoquer des drames…

Qu’il s’agisse d’une fable kafkaïenne (Goto) ou un conte médiéval (Blanche), Borowczyk travaille ces figures de l’enfermement et parvient à créer un univers asphyxiant et oppressant, renvoyant sans doute à ce qu’il a pu connaître dans la Pologne communiste (qui interdit complètement, à l’instar de l’Espagne franquiste, la projection de Goto, l’île d’amour).

Ces deux films séduisent, au bout du compte, par leur raffinement et leur cruauté. Si Goto paraît parfois un peu « raide » dans sa mise en scène, Blanche est porté par une rapidité d’exécution qui fait parfois songer à Bresson (l’ouverture du film et cette manière de couper la tête des personnages pour ne cadrer que le mouvement des corps). Mais dans les deux cas, il y a cette volonté de réinvestir dans le cinéma en prises de vue réelles les expériences menées dans le cadre du film d’animation (le côté saccadé de la succession de tableaux, l’insolite…) et d’affirmer un style propre.

Ce style, on le retrouvera mais au service d’un érotisme raffiné dans les films qui suivront…

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