Sanjuro (1962) d’Akira Kurosawa avec Toshiro Mifune (Editions Carlotta). Sortie en salles depuis le 25 janvier 2017

Marathon Kurosawa : 5

Petit saut dans le temps dans la rétrospective Kurosawa dans la mesure où j’ai choisi le film le plus court pour ma soirée d’hier. Après des drames sociaux, on change totalement de registre avec un film de samouraïs comme les affectionne le cinéaste. On songe évidemment aux Sept samouraïs (qui sont neuf ici) même si Sanjuro est avant tout la suite directe de Yojimbo (Le Garde du corps) tourné l’année précédente.

On retrouve donc le samouraï solitaire (Mifune) qui vient ici en aide à neuf samouraïs naïfs qui voudraient lutter contre la corruption dans leur clan mais qui tombent dans le piège tendu par un fonctionnaire de police véreux (pléonasme ?). Ils décident donc de libérer le chambellan du clan, prisonnier des traitres.

Honnêtement, le film est extrêmement bien fait mais j’ai eu un peu de mal à m’y plonger. Sans doute que cette histoire de rivalités claniques dans l’univers des samouraïs n’a rien de vraiment passionnant. Kurosawa hésite d’ailleurs quant à la tonalité à donner à son œuvre : entre fresque épique (où il ne se passe finalement pas grand-chose) et un humour un peu poussif. Lorsqu’il se concentre sur les batailles, le film est parfois traversé par des éclairs de violence qui évoque la saga Zatoichi (avec les geysers de sang provoqués par les blessures mortelles). Sinon, Kurosawa joue sur le contraste entre son héros solitaire et cynique et la bande de samouraïs (les personnages sont souvent traités par-dessous la jambe) un peu niais.

La dimension la plus intéressante du film tient évidemment au personnage de « Sanjuro ». On sait que Kurosawa fut le plus « occidentalisé » des cinéastes japonais, celui qui n’a cessé de puiser dans le patrimoine littéraire européen, qu’il s’agisse de Shakespeare ou Dostoïevski. Mais, de la même manière, son cinéma lyrique et violent a fini par irriguer à son tour tout un pan du cinéma occidental. Pas de George Lucas sans La Forteresse cachée, pas de Source de Bergman sans Rashomon et pas de Sergio Leone sans ce diptyque Yojimbo/Sanjuro.

Le film témoigne à sa manière d’une certaine évolution du monde puisque l’héroïsme laisse place à un cynisme sans scrupule. Sanjuro n’agit dans un premier temps que pour des raisons pécuniaires et n’hésitera pas à se vendre à l’ennemi pour de l’argent. Chez Kurosawa, une certaine idée morale persiste néanmoins et le samouraï mutique et grossier profitera de son entrée chez l’ennemi pour aider le bon clan. Néanmoins, le ver est dans le fruit et Mifune annonce ici les personnages qu’Eastwood incarnera dans la trilogie des « dollars » chez Leone.

Sanjuro bénéficie également de très belles scènes, notamment celle mythique de l’attaque provoquée grâce à des camélias glissant sur l’eau, symbole parfait de ce choc des contraires qu’affectionne Kurosawa (la beauté fragile de ces fleurs et la violence des combats). Si son héros finit, in fine, du côté des « bons », son ennemi est une fois de plus une sorte de symétrique et on peut très bien intervertir leurs rôles respectifs.  

Chez Kurosawa, les barrières entre le Bien et le Mal sont toujours floues et la mise en scène souligne sans arrêt cette réversibilité des choses. C’est cette dimension qui fait l’intérêt de Sanjuro et plus généralement, du cinéma de Kurosawa…

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