Marathon Borowczyk : 4
Histoire d’un péché (1975) de Walerian Borowczyk
Dr Jekyll et les femmes (1981) de Walerian Borowczyk avec Marina Pierro, Udo Kier, Howard Vernon, Rita Maiden
Editions Carlotta films. Sortie en DVD le 22 février 2017
Puisque j’ai déjà évoqué la question dans mes notes précédentes, il convient de faire un petit retour sur la carrière de Boro après le diptyque Contes immoraux et La Bête, en sachant que je n’ai pas vu tous ses films (on espère que Carlotta ou un autre éditeur audacieux aura un jour la bonne idée de ressortir Les Héroïnes du mal). Avec La Bête, on sent que le cinéaste arrive à un point limite en termes de représentation et qu’il aura du mal à aller plus loin dans la provocation, à moins de glisser vers le cinéma pornographique. Or, en 1975, je n’apprendrai rien à personne en rappelant que le législateur fait des siennes pour endiguer ladite vague pornographique qui a déferlé cette année-là. Les films de ce genre seront donc relégués dans l’infâme ghetto des salles classées X, surtaxés et interdits de toute publicité.
A partir de ce moment-là, le cinéma dit « érotique » n’a quasiment plus lieu d’être : trop peu émoustillant pour les amateurs du genre qui préfèreront des ébats plus explicites, il est également bridé de manière à ne pas déclencher les foudres d’Anastasie (surtout si l’on se souvient que certains films non pornographiques comme le deuxième Emmanuelle ont été classés X dans un premier temps). Borowczyk va pourtant persister dans le genre mais, sans doute pour se distinguer et légitimer sa démarche, il va s’appuyer sur toute une tradition littéraire (Pieyre de Mandiargues, Ovide, Stevenson, Wedekind) et mettre un peu d’eau dans son vin quant aux provocations charnelles.
Il convient d’ailleurs de rectifier une erreur que j’ai faite : si Histoire d’un péché comporte quelques scènes dénudées (rares et plutôt chastes), il paraît difficile de relier ce film au genre « érotique » comme je l’ai suggéré la note précédente. Juste après La Bête, Borowczyk est retourné en Pologne pour y tourner ce drame adapté d’un roman de Stefan Zeromski.
Au départ, on y retrouve les thèmes chers au cinéaste : le pouvoir oppressif de l’Eglise, l’enfermement puisque les personnages se croisent dans un appartement surchargé à Varsovie où les propriétaires louent des chambres. C’est ici que la fille de la maison, Ewa (qui porte le prénom de la première pécheresse) va rencontrer Lukasz, un homme marié en plein divorce. Une idylle va naître mais l’homme va s’enfuir après avoir perdu son procès. Pour Ewa commence alors un périple dans toute l’Europe à la recherche de cet amant qu’elle aime passionnément…
Admettons d’abord que le film est soigné et bien filmé. Si certains inserts, certains cadrages prouvent que c’est bien Boro derrière la caméra, Histoire d’un péché évoque pourtant plus certains films de Zulawski en plus sage. La mise en scène penche parfois vers un baroquisme halluciné, notamment dans cette scène où Ewa accouche et tue son enfant nouveau-né (on ne sait d’ailleurs pas si l’enfant était mort-né ou s’il s’agit vraiment d’un crime). La caméra qui tournoie, le jeu halluciné de l’actrice annoncent un peu (toutes proportions gardées) la traumatisante scène « d’avortement » dans le métro que Zulawski tournera plus tard dans Possession.
Malheureusement, la comparaison s’arrête là : Borowczyk semble un peu empêtré dans son matériau littéraire et son film, beaucoup trop long, se délite au fur et à mesure du récit. On a un peu de mal à s’intéresser aux pérégrinations de cette héroïne et on se perd un peu dans tous ces personnages. Même s’il serait injuste de qualifier d’académisme ce film (qui ne l’est pas), il souffre d’une certaine lourdeur et d’un côté guindé. Dommage.
Dr Jekyll et les femmes est une nouvelle variation autour du mythe fécond du Dr Jekyll et de Mr Hyde. Il faut dire que le roman de Stevenson semble avoir été écrit pour Borowczyk dans la mesure où le cinéaste a toujours été fasciné par la double nature de l’être humain, animal social mais dominé également par des pulsions refoulées et bestiales. On pourrait d’ailleurs s’amuser à faire l’inventaire de ces motifs qui reviennent entre La Bête et celui-là : le corset (que l’on retrouve aussi dans Histoire d’un péché), le sexe monstrueux de Hyde (qui évoque celui de la bête), la satire des milieux ecclésiastiques et des hauts-gradés militaires (l’alliance immémoriale entre le sabre et le goupillon)…
Là encore, presque toute l’action se situe en lieu clos, dans la maison du Dr Jekyll qui célèbre ses fiançailles avec la belle Fanny Osbourne (la merveilleuse Marina Pierro). Après un repas assez croquignolet où le cinéaste se plait à railler cette haute-société de militaires, de médecins et de prêtres, des meurtres sont commis et un inconnu semble hanter la demeure…
Le film souffre, là-encore, d’une certaine raideur dans la mise en scène. Très marqué par l’esthétique des années 80 (lumières bleuâtres à la Beineix, photo qui nimbe les personnages dans une sorte de halo…), le cinéaste a un peu perdu de sa vivacité et s’égare parfois dans la joliesse du détail. Pourtant, le film séduit par son côté « bis ». Boro s’aventure sur le terrain du fantastique et se laisse aller à des visions sanglantes plutôt réussies. Peut-être est-ce aussi parce qu’Howard Vernon joue ici un rôle assez important que je trouve à ce film quelques similitudes avec l’univers de Jess Franco. Comme chez le cinéaste espagnol, on trouve un démiurge capable de plier l’univers entier par la force de ses fantasmes. Et lorsque Marina Pierro se baigne, lors d’un finale halluciné très réussi, dans l’élixir rouge du Dr Jekyll, difficile de ne pas songer à Lina Romay nageant dans son bain de sang dans La Comtesse noire.
Du coup, on prend un certain plaisir à regarder ce film très soigné même si le style, immédiatement reconnaissable de Boro, a parfois tendance à virer un peu au maniérisme. Entre une volonté un peu vaine de jouer les esthètes et les éclats plus sauvages d’une bonne série Z, Dr Jekyll et les femmes finit par être une œuvre intéressante plutôt réussie.