Renaissance
L’Autre côté de l’espoir (2017) d’Aki Kaurismaki
Cela faisait près de six ans que nous étions sans nouvelles d’Aki Kaurismäki qui avait annoncé qu’il mettait un terme à sa carrière. L’Autre côté de l’espoir reprend les choses là où le cinéaste les avait laissées avec Le Havre : son cynisme proverbial qui irriguait l’univers très noir de ses premiers longs-métrages laisse place ici à une fable humaniste propre à réchauffer le cœur du plus endurci des spectateurs.
Toujours apte à prendre le pouls du monde, le cinéaste évoque une fois de plus la trajectoire d’un réfugié syrien arrivé à Helsinki par bateau. Les premiers plans sur Khaled évoquent immédiatement l’idée d’une résurrection puisque le jeune homme surgit littéralement d’un tas de charbon puis monte des escaliers vers une nouvelle vie. Premier objectif : se rendre au commissariat pour tenter d’obtenir le convoité statut de réfugié. Deuxième objectif : retrouver sa sœur qui a disparu au cours de leur long périple et leur exil.
Résumé de cette manière, L’autre côté de l’espoir peut faire redouter une énième « fiction de gauche » pleine de bons sentiments et destinée à donner bonne conscience au lecteur de base de Télérama. Mais si Kaurismäki pose évidemment un regard sur le monde comme il ne va pas, il n’en fait pas une affaire idéologique. Lors d’une belle scène où Khaled raconte un peu son histoire, il dit qu’il ignore qui a brûlé sa maison et fait périr une grande partie de sa famille. Le régime d’Assad ? Daesch ? Les rebelles ? Peu importe pour lui : son drame est avant tout individuel et c’est en tant que personnage de fiction que le cinéaste s’intéresse à lui. Tel Fabrice à Waterloo dans La Chartreuse de Parme, Kaurismäki prend le petit bout de la lorgnette pour évoquer un drame historique mondial (les massacres à Alep, la tragédie des migrants, les guerres absurdes décimant les populations civiles…) et ses répercussions sur de simples individus qui ne cherchent qu’à survivre.
Très vite, Khaled quitte la défroque du « symbole » pour devenir un personnage kaurismakien : il affirme, le temps d’un questionnaire, que le Prophète est mort dans l’incendie de sa maison et il ne tergiverse pas lorsqu’il s’agit de boire un bon verre de bière. D’aucuns pourront reprocher au cinéaste de se contenter de reproduire à l’identique un univers déjà clairement identifié : humour minimaliste, rigueur d’une mise en scène bâtie sur des plans rigoureusement cadrés et un découpage bressonien, vieux rockers qui commentent l’action et jouent le rôle de chœurs antiques. Pourtant, le génie du cinéaste est de parvenir à trouver un équilibre subtil entre l’humour très noir de ses débuts et la fable humaniste, entre une certaine lucidité désespérée quant à la rudesse de l’existence et un certain idéalisme et une foi en la solidarité.
Parallèlement à la trajectoire de Khaled, Kaurismäki suit le parcours de Wikström, un VRP solitaire qui plaque tout pour se lancer dans la restauration. Pour le coup, ce personnage s’intègre parfaitement à la galerie des perdants magnifiques chers au cinéaste : solitaire, taiseux, il retrouve un certain sens à sa vie en se retrouvant patron d’une équipe de bras cassés (un portier, une barmaid, un cuisinier) et en prenant sous son aile Khaled.
Si le cinéaste décrit avec une certaine lucidité une société finlandaise frileuse, peu accueillante (Khaled, qui a pourtant tout perdu, est condamné à retourner dans son pays en raison d’arguties administratives absurdes) voire xénophobe (les abjects skins qui menacent le jeune homme), il ne se laisse pas aller au misérabilisme et au naturalisme crapoteux. L’espoir évoqué dans le titre, c’est le minuscule réseau de solidarités qui se met en place autour de Khaled. Ceux qui l’aident n’ont rien de « héros », ce ne sont ni des exemples ni des porte-étendards mais des individus n’ayant pas totalement mis de côté certains principes moraux et un certain bon sens « humaniste ».
Si l’univers de Kaurismäki peut paraître glacial avec ses cadres tirés au cordeau qui isolent les individus dans leurs solitudes et ces plans à la Hooper, il se réchauffe désormais au feu d’un humanisme à la Chaplin. Le cinéaste n’élude en rien les difficultés de l’existence et les horreurs du monde mais il montre aussi comme de simple petits gestes (offrir quatre murs à un réfugié, le cacher quand débarquent des inspecteurs…) peuvent les atténuer.
Des petits riens qui, mine de rien, signifient beaucoup et rendent précieux le cinéma de Kaurismäki.