Il Mattatore (1960) de Dino Risi avec Vittorio Gassman. Dorian Gray (Editions Carlotta Films). En salles depuis le 14 juin 2017 (version restaurée 2k)

Comment arnaquer son prochain

La comédie italienne a le vent en poupe ces temps-ci et personne ne songera à s’en plaindre. Après avoir découvert l’inédit en France Le Prophète grâce à ESC éditions, c’est au tour de Carlotta de mettre à l’honneur le même Dino Risi et de sortir en salles un film que l’on connaissait sous le titre français de L’Homme aux cent visages.

Historiquement, le film est important puisqu’il marque les débuts d’une fructueuse collaboration entre le cinéaste et Vittorio Gassman, quelques années avant Le Fanfaron et La Marche sur Rome. L’acteur incarne ici Gerardo, un ancien escroc qui vit désormais bourgeoisement avec son épouse et qui rêve de remettre la main à la patte.

Le récit est construit sous la forme d’un long flash-back puisqu’un petit escroc débarque chez Gerardo, tente de l’arnaquer mais se fait prendre la main dans le sac. Plutôt que de livrer cet homme à la police, notre héros raconte au petit malfrat (qu’il connut autrefois en prison) les diverses péripéties de son existence qui l’amenèrent à devenir un as de la truandaille.

Sans être le plus réussi dans le genre, Il Mattatore est l’exemple typique de ce que put être l’âge d’or de la grande comédie italienne : un sens aigu de l’écriture puisqu’on retrouve au scénario et dialogues du film les fameux duettistes Age et Scarpelli épaulés par Ettore Scola, un ancrage dans la réalité italienne (même si, pour le coup, c’est la fantaisie qui l’emporte ici), un cynisme à toute épreuve et un goût prononcé pour l’humour noir. Le comique naît ici de l’élaboration ingénieuse des combines les plus improbables imaginées par Gerardo pour arnaquer son prochain et même si je ne révèlerai évidemment pas la fin, Risi s’amuse à embarquer le spectateur dans une série de rebondissements plutôt savoureux.

Mais l’intérêt principal du film vient bien évidemment de l’extraordinaire prestation de Vittorio Gassman qui écrase tout le reste de la distribution. Il est absolument parfait dans le rôle de cet escroc agile et peaufine déjà son personnage de fier-à-bras hâbleur et fort en gueule. Avec beaucoup d’autodérision, il parvient à nous rendre sympathique cet homme à la fois extrêmement rusé mais qui n’arrive pas, malgré son caractère braillard, à dissimuler sa lâcheté et sa veulerie. On sent qu’il se régale dans un rôle qui lui permet de multiplier les déguisements (une mention spéciale à ce haut-gradé de l’armée chauve, raide comme la justice et portant un monocle à la Von Stroheim) à l’instar d’Alec Guiness dans Noblesse oblige.

Il Mattatore est, d’une certaine manière, l’illustration d’un drôle de paradoxe du comédien. Gerardo est, à l’origine, un acteur raté qui se fait siffler sur scène. Du coup, il met tout son talent au service de l’imposture et de l’escroquerie. Avec une certaine habileté, Risi file la métaphore jusqu’au bout en montrant que ce qui est en jeu, face à un arnaqueur ou à un comédien de génie, c’est la croyance (la crédulité ?) d’un spectateur qui aime à se faire bluffer.

Dans la mesure où ce jeu est ici sans risque, on aurait tort de s’en priver…

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