Charisma (1999) de Kiyoshi Kurosawa avec Kôji Yakusho

Un flic dans la forêt

La séquence qui ouvre le film est très impressionnante. Yabuike, un officier de police fatigué, est confronté à une prise d’otage qui tourne mal puisqu’un député et le malfrat qui le retenait sont tués. Yabuike a fait un mauvais choix en cherchant à sauver les deux individus et en refusant de tirer à bout portant sur le bandit. Aurait-il été préférable d’arracher la mauvaise herbe pour préserver le reste de la société ? Tel sera le dilemme qui va désormais dicter sa nouvelle existence puisqu’il est mis à pied et qu’il s’enfuit dans la forêt.

Sur place, il découvre une étrange société qui se déchire autour d’un arbre appelé Charisma. D’emblée, Kurosawa déconcerte le spectateur en jouant la carte de la fable et de l’allégorie. Cette forêt où Yabuike élit domicile et où les arbres meurent peu à peu est une métaphore transparente d’une société japonaise en pleine crise. Le personnage va donc être confronté à trois manières d’envisager des solutions pour cette société malade. La première est une réponse de type « fasciste ». C’est ce personnage mystérieux du gardien de sanatorium qui protège par la force l’arbre pour en faire une sorte de « surhomme ». Qu’importe si Charisma fait mourir les arbres alentour, c’est sa préservation qui importe. Il y a du Mishima chez cet individu qui règle ses comptes au sabre.

La deuxième solution est celle qu’apporte la scientifique que rencontre Yabuike. C’est la plus traditionnelle et elle est assez similaire à ce que lui dirent ses supérieurs avant son licenciement : l’individu doit disparaître au profit du groupe et il faut détruire cet arbre pour préserver l’ensemble de la forêt.

Enfin, la troisième manière d’envisager ce rapport à la société est représentée par ces gardes forestiers qui cherchent avant tout à monnayer cet arbre mystérieux. Ils représentent une sorte de capitalisme sauvage qui n’hésite pas à mettre en péril l’équilibre de la nature au nom du profit.   

J’avoue que ce côté métaphorique ne m’a pas vraiment emballé. Le cinéaste opte, en outre, pour un montage syncopé et Charisma peine à se structurer en un récit crédible. C’est sans doute paradoxal de parler d’incarnation pour un réalisateur comme Kurosawa qui n’a cessé de montrer des personnages gagnés par le vide existentiel et en voie de réification. Pourtant, dans ses grands films, cette désincarnation allait de pair avec une véritable complexité. Ici, les personnages sont réduits le plus souvent à une fonction symbolique et le film souffre de ce côté un peu systématique.

Pour autant, l’œuvre n’est pas inintéressante dans la mesure où Kurosawa prouve une nouvelle fois son talent de metteur en scène et nous gratifie de quelques séquences très belles visuellement parlant (dont un finale qu’on ne peut s’empêcher de rapprocher de la catastrophe de Fukushima). D’autre part, il parvient à éviter le schématisme trop grossier en montrant que les trois visions du monde qui s’affrontent ne sont pas forcément radicalement opposées. Le film devient plus intéressant lorsqu’il montre justement la porosité de ces « règles du monde » et lorsqu’il se concentre davantage sur le dilemme moral qu’elles impliquent au niveau de l’individu. Pendant tout le film, Yabuike va « rejouer » la scène primitive par laquelle tout a commencé. Et, au bout du compte, il va comprendre qu’il faut se défier des schémas rigides, que les « forces du Bien » et celles du « Mal » s’équilibrent et cohabitent aussi bien au niveau social qu’au cœur de l’individu. Le flic résume parfaitement la pensée du cinéaste lorsqu’il affirme qu’il n’y a pas forcément une forêt qui doit se débarrasser des arbres « parasites », ni un arbre plus fort que les autres qu’il faut préserver mais tout simplement une somme d’arbres solitaires régis par des forces contradictoires.

C’est cette dimension « solipsiste » qui, au bout du compte, finit malgré tout par emporter l’adhésion…  

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