Deux hommes en fuite (1970) de Joseph Losey avec Robert Shaw, Malcom McDowell. (Editions Carlotta Films) Sortie en salles le 27 septembre 2017

Silhouettes dans des paysages

Le titre français du film a le mérite d’annoncer d’emblée la couleur et  de nous offrir un assez bon résumé du récit. En effet, Losey nous propose de suivre les pérégrinations de deux évadés, fuyant dans le désert d’étranges geôliers les poursuivant en hélicoptère. Mais le spectateur français perd à la traduction le côté plus « abstrait » du titre anglais : Figures in a landscape, que l’on pourrait traduire par « personnages [ou « silhouettes] dans le paysage ».  Il y a donc chez Losey une volonté de réduire le récit à une « ligne claire » et d’aller vers une certaine abstraction en se contentant de formes, de paysages et de mouvements.

Tourné entre The Servant et Le Messager, Deux hommes en fuite est une sorte de western métaphysique qui lorgne également vers le thriller et le film de guerre. Le cinéaste débute tambour battant par une longue course-poursuite entre deux hommes aux mains liées et un hélicoptère dont on ne saura rien. La trame du « film de genre » est réduite à l’os pour ne plus se concentrer que sur le mouvement, des silhouettes et des paysages arides (avec une mise en scène privilégiant le contrepoint plans d’ensemble/ gros plans). La force du film, c’est de ne rien dévoiler ou presque de l’histoire de ces deux personnages. Nous ignorerons d’où ils s’échappent (de prison ? sont-ils des déserteurs puisqu’ils ont l’armée aux trousses ?), dans quel pays ils évoluent, pourquoi ils fuient… De la même manière, nous ne saurons rien de cet hélicoptère qui les traque, de ces soldats qui semblent avoir envahi le pays… Losey nous propose un véritable film de survie : parvenir à dénouer ses liens, trouver de la nourriture, tuer pour se mettre hors de danger… Ces deux personnages sont constamment dans un rapport hostile à leur environnement et tout l’enjeu du film va être d’étudier leur manière de s’y adapter ou d’y échapper. A cela s’ajoute le rapport entre le vieux briscard (Robert Shaw, également scénariste du film) et du jeunot (Malcom McDowell, un an avant Orange mécanique) où l’on retrouve le goût de Losey pour les relations troubles entre le maitre et l’esclave. Alors que le plus expérimenté commande avec brutalité le plus jeune, les rapports de force ne cessent d’évoluer au fur et à mesure des événements. Quand l’un des deux « trébuchent », l’autre en profite pour reprendre le dessus et imposer ses règles.

En dépouillant son récit de toute justification ou presque, Losey livre une sorte de fable métaphysique qui fait parfois penser (toutes proportions gardées !) à du Beckett. Nos deux fuyards représentent l’image d’une humanité condamnée à une lutte perpétuelle pour sa survie, à la fois menacée par l’ordre social (est-ce que le cinéaste s’est souvenu de ses démêlés avec les flics du maccarthisme ? ) et par une divinité absente, se riant de ses créatures (l’hélicoptère qui n’use pas du tir sur les évadés mais qui les harcèle, les pousse à bout).

Le film est intéressant pour ce côté absurde, le vide existentiel qu’il convoque en se concentrant sur ces deux silhouettes au cœur de l’immensité de la nature. Losey filme très bien les paysages et les vastes étendues désertiques, à tel point qu’on songe parfois être au cœur d’un western.

Néanmoins, on se prend à songer que le film aurait presque gagné à être encore plus radical et plus « abstrait ». Le cinéaste s’en tient quand même à la figuration et n’ose pas complètement abandonner la narration (Robert Shaw raconte parfois quelques épisodes de sa vie antérieure). Il n’ose pas faire ce que Gus Van Sant réussira à merveille dans Gerry : à larguer les amarres et à ne vraiment filmer que deux individus dans un désert. En n’optant pas pour une plus franche stylisation, le film souffre parfois de quelques tunnels un peu longuets, moins intéressants.

Mais dans l’ensemble, il intrigue et intéresse…

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