Jeunesse à la dérive
La Fille du Nil (1987) de Hou Hsiao-Hsien avec Lin Yang (Editions Carlotta films) Sortie en coffret DVD le 8 novembre 2017
Il y a un an, les éditions Carlotta ressortaient en salles 5 films de « jeunesse » du grand cinéaste taïwanais Hou Hsiao-Hsien. Il nous sera désormais possible de les voir en DVD dans ce beau coffret qui regroupe deux films plutôt « commerciaux » de ses débuts (Cute Girl et Green, Green Grass of Home) et trois films de sa tétralogie autobiographique (le superbe Les Garçons de Fengkuei, mon préféré du lot, mais aussi Un temps pour vivre, un temps pour mourir et Poussières dans le vent).
A ces cinq films déjà vus et chroniqués, il convient d’ajouter La Fille du Nil, œuvre réalisée en 1987 et faisant la transition entre les films biographiques de Hou Hsiao-Hsien et sa future trilogie consacrée à l’histoire de Taïwan.
Hsiao-Yang est une jeune femme qui, après la mort de sa mère, essaye de s’occuper de toute sa famille : son frère aux activités illicites, sa petite sœur en difficulté scolaire, un père absent tout en jonglant avec son petit boulot et ses cours du soir… La Fille du Nil est une chronique pointilliste assez curieuse de la jeunesse taïwanaise de la fin des années 80. Hou Hsiao-Hsien hésite entre plusieurs tonalités, au risque de déconcerter le spectateur. Certains éléments renvoient aux films commerciaux de ses débuts : l’héroïne du film est incarnée par une star de la chanson, quelques scènes s’inscrivent dans le cadre du cinéma « de genre » (règlements de compte entre mafieux, fusillades…) et le cinéaste se permet également quelques gags très lourds autour des flatulences de ses personnages et des odeurs produites !
A côté de cela, le film est déjà assez caractéristique de son œuvre à venir : rythme alangui, longs plans fixes et une certaine manière de saisir le caractère désabusé de la jeunesse qu’il met en scène. L’aspect le plus intéressant de La Fille du Nil, c’est son caractère urbain. Hou Hsiao-Hsien a souvent filmé la campagne et il se focalise ici sur les néons de la ville, les boites de nuit où les corps las s’agitent pour faire croire qu’ils sont encore vivants… Il y a quelques jolies scènes où, sur une plage, ces jeunes gens réalisent que le temps passe et que leur groupe va finir par exploser. Le constat est assez amer : l’avenir est bouché pour ces jeunes gens qui rêvent de s’enrichir par tous les moyens, y compris illégaux. Au bout du compte, c’est un sentiment de désenchantement et d’extrême solitude qui semble gagner tous les personnages.
Comme souvent chez le cinéaste, le conflit des générations et les problèmes familiaux sont au cœur des enjeux « dramatiques » du récit. Le père est ici présenté comme une figure immature et absente tandis que c’est la jeune femme qui fait désormais le lien entre tous les membres de la famille. A l’heure de l’évolution de Taïwan vers la démocratie après des années de dictature mais également de l’adhésion au mirage de l’économie de marché, Hou Hsiao-Hsien dessine un tableau assez pessimiste d’une jeunesse sans repères et sans avenir.
Le titre du film renvoie à celui d’un manga que dévore Hsiao-Yang. Mais il permet également de faire le parallèle entre deux civilisations en train de disparaître.
A ce titre, et sans compter parmi les œuvres majeures du cinéaste, La Fille du Nil mérite d’être découvert…