Le Souffle au cœur (1971) de Louis Malle avec Léa Massari, Benoît Ferreux, Daniel Gélin, Michael Lonsdale

La provocation douce

En 1958, Louis Malle signe Les Amants, son deuxième long-métrage (sauf si l’on considère Le Monde du silence, qu’il a coréalisé avec Cousteau, comme sa première oeuvre) et provoque un certain remous pour une scène d’amour particulièrement audacieuse pour l’époque. Rétrospectivement, on se dit que ce n’est pas ce qui est montré qui a alors choqué (le film restant très chaste) mais la manière qu’avait le cinéaste de s’attarder sur le visage de Jeanne Moreau suggérant le plaisir avec un réalisme inédit. Toute l’œuvre de Malle pourrait se résumer à cette scène mythique : une manière douce de provoquer le scandale en s’attachant à des personnages libres et détachés des conventions sociales.

Par la suite, le cinéaste montrera une certaine dilection pour les sujets sulfureux lui permettant de briser certains tabous. Il s’attachera à des personnages libres défiant la société par un certain dandysme suicidaire (Le Feu follet d’après Drieu la Rochelle, son meilleur film) ou par le vol considéré comme une clé de la « reprise individuelle » anarchiste (Le Voleur d’après l’immense Georges Darien). Il évoquera également la collaboration française dans Lacombe Lucien et la prostitution enfantine dans un film totalement inconcevable aujourd’hui : La Petite. Avec Le Souffle au cœur, il aborde la question de l’inceste.

Le film est très caractéristique de l’art de Malle. Sur le papier, c’est un catalogue de scènes qui ne se font pas : masturbation, concours de longueur de sexes, dépucelage chez les prostitués (et, par conséquent, détournement de mineur) auxquelles il faut ajouter un prêtre pédéraste (l’excellent Michael Lonsdale et son onctuosité légendaire) et la fameuse relation incestueuse qui se termine par un passage à l’acte. Tout cela vaudra d’ailleurs au cinéaste un refus de l’avance sur recette par la commission pré-censure. Mais à l’écran, tout reste traité avec humour, délicatesse et légèreté. Dans mon souvenir, le film avait une tonalité plus dramatique alors qu’il s’agit ici d’une comédie de mœurs dénuée de tout jugement moral.

A l’image d’une bande-son très jazz et entrainante (Parker, Bechet, Gillespie…), Le Souffle au cœur est un film enjoué, captant avec malice l’extrême liberté d’une jeunesse dorée (Laurent, le héros du film, et ses deux frères, sont les fils d’un gynécologue cossu – Daniel Gélin- et le pur produit de la haute-bourgeoisie dijonnaise[1]) en rupture de ban. Le film est à la fois irrigué par les souvenirs de l’auteur (même s’il situe l’action en 1954 et qu’il faudra attendre Au revoir les enfants pour qu’il parle plus directement de sa propre adolescence) et par un certain esprit libertaire post-68. En effet, la jeunesse s’encanaille grâce au jazz, aux soirées alcoolisées et à la littérature sulfureuse (Laurent se masturbe en lisant J’irai cracher sur vos tombes de Vian, il découvre Histoire d’O dans un tiroir de sa mère, il évoque la question du suicide en discutant de Camus et Crevel avec son frère…). De la même manière, le très beau personnage de la mère incarnée par la divine Léa Massari frappe par son extrême liberté. Son fils découvre qu’elle a un amant mais, à l’instar de Malle, refuse de porter sur elle un jugement d’ordre moral, cette morale hypocrite de la bourgeoisie qui éclate lors d’un diner mondain ou lorsque le prêtre, après avoir bien mis en garde Laurent contre les pêchés de la chair, palpe avec concupiscence les cuisses du jeune homme ! Clara ne se laisse ni enfermer dans le carcan étouffant de la famille, ni par son amant possessif et jaloux (qu’on ne verra jamais).

Dans ce contexte, la fameuse scène incestueuse arrive avec un naturel désarmant, de manière très douce et très tendre. L’acte le plus tabou est ici totalement dédramatisé : non pas exalté mais pas non plus condamné. Il s’agit seulement d’un moment d’égarement qui restera, comme le dit Clara, un moment fort et tendre mais qui ne se reproduira jamais.

Malle ne cherche en aucun cas à « choquer le bourgeois » mais à envisager des rapports humains plus libres et décomplexés au regard de la mortifère morale des philistins.

45 ans après, c’est ce qui fait la force, la fraicheur et la liberté de ce Souffle au cœur vivifiant…

 

[1] Le film est censé se dérouler à Dijon (on y évoque d’ailleurs la figure du chanoine Kir) mais aucun plan n’a été tourné dans la capitale des ducs de Bourgogne.

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