Flagellations (1974) de Pete Walker avec Barbara Markham, Penny Irving (Editions Artus Films)

L'ordre immoral

Les éditions Artus, dont le programme à venir s’annonce splendide (Fulci, Franco…), nous proposent aujourd’hui d’approfondir notre connaissance du cinéma d’épouvante britannique en ajoutant deux nouvelles pépites signées Peter Walker à leur collection « British horror ». Disons-le tout net, ce nom ne parlera sans doute pas vraiment aux cinéphiles orthodoxes pour qui le cinéma fantastique anglais se limite aux productions de la Hammer et, éventuellement, à John Gilling.

Pourtant, dans son excellent fanzine Medusa (n°27, mars 2016), Didier Lefevre nous avait mis l’eau à la bouche avec un très intéressant dossier consacré à ce cinéaste.

Flagellations a été réalisé en 1974 et témoigne de fort belle manière de la façon dont le cinéma britannique a évolué au cours des années 70, intégrant en son sein la libéralisation des mœurs de la fin des années 60 (le « swinging london ») et les révolutions sociales. L’intérêt du film de Pete Walker, c’est qu’il fait parfaitement le pont entre une certaine tradition « gothique » et une horreur beaucoup plus « moderne » (la première scène du film rappelle furieusement le finale apocalyptique de Massacre à la tronçonneuse tourné la même année).

En quoi Flagellations s’inscrit dans la tradition du film gothique anglais immortalisé par les œuvres de la Hammer ? En extrapolant un peu, on pourrait dire qu’il s’agit d’une histoire de vampire puisqu’une jeune donzelle aux mœurs assez libres (elle a été épinglée par la police pour s’être dénudée en public) se fait séduire par un mystérieux Mark E. Desade (prononcer Marc-i-de-sade !) qui se dit écrivain (le comédien Robert Tayman, avec son regard très clair et ses allures félines m’a un peu fait penser à notre Michel Lemoine national). L’homme exerce une fascination comparable à celle des vampires et il invite la jolie Anne-Marie chez lui le temps d’un week-end. Si le lieu n’est pas un lugubre manoir gothique, il s’agit néanmoins d’une immense propriété isolée, fortifiée et difficilement accessible. A l’intérieur, on retrouve une certaine mythologie du genre : cachot humide envahi par les rats, salles dédiées aux châtiments corporels, cellules exiguës aux murs nus…

En effet, en guise de week-end romantique, Mark confie Anne-Marie à sa mère qui dirige une sorte de prison où un tribunal privé rend une justice aussi arbitraire que lapidaire. Du coup, Flagellations lorgne parfois vers le « film de femmes en prison » (le « WIP movie ») dont on retrouve certaines caractéristiques : un peu d’érotisme choucard (les donzelles sont dévêtues plus ou moins régulièrement), des matonnes extrêmement cruelles (l’une d’elles s’appelle Bates, un hommage hitchcockien évident) et quelques châtiments rigoureux (les « flagellations » évoquées par le titre français du film).

Mais là où le film témoigne d’une certaine modernité à l’œuvre dans le cinéma d’épouvante britannique, c’est dans sa manière de filmer la jeunesse et les conflits de générations.

Les femmes qui dirigent cette institution représentent une certaine tradition et un pouvoir oppressif digne de la sinistre époque victorienne. Si elles châtient sans ménagement des jeunes femmes, c’est pour lutter contre la dégénérescence des mœurs, l’affaiblissement de la morale traditionnelle… Le film joue sur cette corde de manière habile puisque toutes les traditionnelles figures de l’autorité (la mère hitchcockienne, le juge sénile, le pouvoir religieux…) sont celles qui menacent la liberté de personnages qui n’ont comme seul tort que de vivre leurs désirs comme ils l’entendent. Le « Mal » est donc du côté des institutions et des instances de répression, non plus un corps exogène à la société (une créature maléfique, un tueur fou…).

Outre le clin d’œil explicite (le nom Mark E Desade), Pete Walker nous propose un film assez « sadien » dans la mesure où il montre que la prétendue « perversion » d’une jeunesse libérée est sans commune mesure avec les horreurs d’un pouvoir absolu qui s’arroge le droit de légiférer dans le domaine des mœurs. 

Bien construit (comme le souligne David Didelot dans un excellent bonus très complet, Flagellation a une structure circulaire très sadienne), le film oscille entre une certaine tradition et un ancrage dans des thématiques très contemporaines.

Ce premier film que je découvrais de Pete Walker ne m’a pas déçu…

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