Noroît (1976) de Jacques Rivette avec Bernadette Lafont, Géraldine Chaplin, Humbert Balsan (Editions Carlotta Films) En salles depuis le 14 mars 2018

L'île des pirates

Après Duelle, Noroît est le deuxième et dernier épisode du cycle des « scènes de la vie parallèle » qui devait compter, à l’origine, quatre films. C’est sans doute le film le plus méconnu de Rivette (il n’est recensé ni dans le Guide des films de Tulard, ni dans le Dictionnaire des films de B.Rapp) et le plus obscur.

Sur une plage isolée, une femme (G.Chaplin) pleure la mort de son frère et décide de le venger. Il a été tué par Giula (B.Lafont) qui règne sur une bande de pirates dans son château.  Aidée par Erika, Morag (c’est le nom de l’inconsolée) se fait engager au château et fomente son plan d’action…

Lointainement adapté d’une pièce de Cyrill Tourneur, le film se présente comme un film de pirates au féminin. Mais que ceux qui rêvent d’aventures trépidantes et de combats incessants se ravisent : Noroît est un film assez expérimental et austère (on dirait parfois du Siodmak revu par les Straub) qui risque de déconcerter. En effet, si ces films (Duelle et Noroît) marquent pour le cinéaste un abandon à la « fiction », il faut bien reconnaître que celle-ci est assez indigente. Difficile de se passionner pour cette histoire de vengeance assez hermétique qui se résume à une succession de tableaux minutieusement chorégraphiés. Autant Duelle parvenait, en rejouant les codes du film noir mâtinés de fantastique, à exercer un véritable pouvoir de séduction, autant Noroît peine à captiver en jouant la carte de l’aventure.

Si le fond est désespérément plat, la forme attire plus l’attention. Une fois de plus, Rivette prouve qu’il est davantage un metteur en scène qu’un conteur. Dans Noroît, même lorsqu’il tourne en extérieur (les plans sont très beaux et la restauration rend justice à une photographie absolument superbe), le cinéaste se plait à théâtraliser son récit, à délimiter un espace scénique circulaire par de beaux et fluides mouvements de caméra. C’est encore plus visible en intérieur où la mise en scène encercle des personnages qui se débattent au centre. Cette théâtralité est accentuée par les procédés musicaux qui sont les mêmes que ceux de Duelle : un mini-orchestre (trois musiciens) apparaît artificiellement dans le cadre pour improviser une musique « d’ambiance » qui reste pourtant diégétique. Tout en avançant la carte de la « fiction », Rivette reste attaché à une certaine distanciation qui se retrouve dans le jeu assez hiératique des comédiens (d’où ma référence aux Straub mais on songe parfois aussi à … Jean Rollin !)

De la même manière, le film avance moins selon les préceptes de « l’action » et de la psychologie des personnages mais par des gestes, du mouvement, des déplacements dans l’espace. Il suffit de voir le combat final pour réaliser à quel point Noroît relève avant tout du ballet, de la danse contemporaine et de la chorégraphie. De ce point de vue, le film est assez beau et séduit par l’extravagance de ses costumes. Pourtant, l’amateur du cinéma de Rivette (dont nous sommes) ne peut s’empêcher de penser qu’il manque quelque chose. Tout se passe comme si le metteur en scène nous proposait les scènes d’improvisation d’Out One mais sans le contexte annexe : les coulisses, le travail de répétition, la réflexion sur l’œuvre en cours, les rapports sentimentaux et affectifs entre les individus…

Tout ce qui fait l’intérêt des grands films de Rivette, de L’Amour fou à Va Savoir est évincé au profit du seul « résultat » qui s’avère ici assez obscur.

Sachant ça, l’expérience n’est pas inintéressante et mérite d’être vécue au moins une fois, ne serait-ce que pour retrouver la gouaille de l’immense Bernadette Lafont et le charme de Géraldine Chaplin (qui retrouvera Rivette quelques années plus tard dans le magnifique L’Amour par terre).

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