Jeune et jolie (2013) de François Ozon avec Marine Vacth, Géraldine Pailhas, Frédéric Pierrot, Nathalie Richard, Charlotte Rampling

Une vraie jeune fille

Il faut bien reconnaître qu’après une longue série de films particulièrement ratés (disons à partir d’Angel), je me suis un peu éloigné de François Ozon et je n’avais toujours pas vu jusqu’à aujourd’hui ses quatre derniers films. J’ai cependant eu la chance de croiser il y a peu Jean-Claude Moireau, son photographe de plateau, qui nous confiait qu’il tenait lesdits quatre derniers films (Jeune & jolie, Une nouvelle amie, Frantz et L’Amant double) pour ce que que le cinéaste avait signé de plus personnel.

C’est donc avec une bienveillante curiosité que je me suis passé Jeune et jolie et que le résultat, plutôt intéressant, m’a donné envie de réécrire sur Ozon et mettre un bémol à la sévérité que j'avais à son égard ces derniers temps.

L’argument du récit me semble plus célèbre que l’œuvre en elle-même dans la mesure où Ozon déclencha bien innocemment une ridicule polémique en déclarant que le fantasme de prostitution était fréquent chez les femmes. Si l’on reçoit ces déclarations en gardant la tête froide, elles n’ont rien de scandaleuses puisqu’elles se placent sur le territoire du fantasme qui est, assurément, illimité. Passons.

Isabelle est une lycéenne issue d’un milieu aisé. Après une expérience malheureuse de l’amour physique pendant ses vacances d’été, elle décide de se prostituer…

Ozon part d’un postulat qui pourrait être celui d’un fait divers hélas bien trop réel. Isabelle avouera d’ailleurs aux flics que c’est en voyant un reportage à la télévision sur des étudiantes contraintes de se prostituer pour financer leurs études qu’elle a eu l’idée de passer à l’acte.

La grande réussite du film, c’est de gommer immédiatement ce contexte sociologique. Isabelle ne fait pas ça pour l’argent (elle en a autant qu’elle veut) et le cinéaste évite la rengaine misérabiliste liée au sujet. Cela ne signifie pas qu’il n’en a pas conscience (une policière liste d’ailleurs tous les dangers auxquels Isabelle a échappé : la violence, le viol, le meurtre…) mais que le sujet n’est pas là. De la même façon, Ozon avance quelques cartes « psychologiques » sans pour autant leur donner trop d’importance ni établir des liens de cause à effet : un père absent, une « première fois » ratée et frustrante…

La réussite de Jeune et jolie, c’est de plonger dans les eaux troubles du désir et du fantasme. Ozon, pour le meilleur et pour le pire, est un cinéaste de la « surface » avec des mises en scène en « à-plats ». Ici, quelque chose bouillonne sous cette surface lisse des apparences.

Ozon construit sa mise en scène sur une série de jeux de regard qui scrutent (voir le premier plan du film où la jeune fille est observée sous la loupe d’une paire de jumelles) un visage qui gardera son opacité. Si ce regard est d’abord porté  par le petit frère, c’est ensuite sa mère, son beau-père, ses amants qui chercheront à exercer une sorte d’emprise sur Isabelle qui ne cessera pourtant de se dérober.

A ces jeux de regards s’ajoute un goût du cinéaste pour le miroir. Lorsque l’adolescente fait l’amour sur la plage pour la première fois, elle apparaît comme une spectatrice de la scène (elle se dédouble littéralement). Déjà s’oppose ici le « Moi » social et le « Moi » plus profond qui est ce reflet insaisissable qu’Ozon filme dans les miroirs. Personne ne pourra comprendre le pourquoi de l’attitude d’Isabelle. Il n’y a aucune explication mais quelque chose de plus profond, de plus vertigineux.

Il est grand temps de dire qu’à ce jeu, Marine Vacht est absolument parfaite, d’une beauté époustouflante car mystérieuse et introvertie.

Bien sûr, le film n’est pas parfait et l’on retrouve toujours quelques scories propres au cinéma d’Ozon : une manière de souligner parfois les choses par des scènes trop « signifiantes » (la récitation du poème de Rimbaud par les lycéens) et par des dialogues trop explicatifs.

Mais ces défauts sont compensés par une dimension presque psychanalytique. Au psy qu’on lui a conseillé, Isabelle demande ses tarifs (le marché prostitutionnel est renversé) et lui propose de le payer avec l’argent de ses passes. La scène est très réussie car Ozon parvient à nous dire qu’il aborde la thématique de la prostitution comme une thérapie psychanalytique. A travers ces fantasmes de jeune fille se dessinent les contours d’une personnalité opaque et fragile assez fascinante. A l’heure où l’on voudrait que l’individu soit programmé comme un robot, que le sexe et le plaisir soient totalement transparents, régis par des contrats sans nuances ; Ozon s’aventure du côté des sables mouvants du désir et montre que les affects et sentiments humains, aussi paradoxaux soient-ils (préférer un vieux client au seuil de la mort à son copain de lycée plein de vie et de fougue, par exemple) ne se réduisent pas à un bouton sur lequel on se contenterait d’appuyer…

Retour à l'accueil