L'imitation du cinéma
The Last Movie (1971) de et avec Dennis Hopper et Peter Fonda, Tomas Millian, Samuel Fuller, Stella Garcia (Editions Carlotta Films) Sortie en salles en version restaurée depuis le 18 juillet 2018
Comment rebondir après le triomphe d’un film comme Easy Rider devenu symbole de toute une époque et d’une génération ? Dennis Hopper, avec son deuxième long-métrage, prend le maquis et se rend au Pérou. Finie la route et les équipées sauvages en moto : le comédien incarne ici un cascadeur, Kansas, engagé sur le tournage d’un western. Après le dernier clap, notre homme décide de rester sur place et s’acoquine avec une ancienne prostituée du coin, Maria.
Le problème, c’est que les habitants du cru sont bien décidés à tourner leur propre film après le départ de l’équipe hollywoodienne. Armés de fausses perches, d’une fausse caméra, ils mettent en scène une fiction où la violence est pourtant bien réelle et dans laquelle ils vont finir par entraîner Kansas…
Ce court résumé ne rend pas vraiment compte de la teneur d’une œuvre heurtée et parfois un peu déroutante. Hooper ne joue pas sur un récit structuré et linéaire : de fortes ellipses mettent à mal la chronologie, les scènes se succèdent sans toujours de liens évidents, le cinéaste mêle parfois le « film dans le film » au cœur de la narration sans marquer de manière explicite la frontière entre l’un et l’autre... De la même manière, il se permet quelques petites expérimentations formelles qui rappellent la fameuse scène du cimetière d’Easy Rider : montage heurté, images subliminales et une mise en scène épousant la perception altérée du personnage (entre délire et épouvante).
Par quel bout envisager cette œuvre ? On peut, dans un premier temps, y voir une sorte de satire, notamment dans cette manière hégémonique qu’ont les Etats-Unis de proposer un imaginaire unique à travers le monde. C’est cet imaginaire que les péruviens tentent de se réapproprier dans ce que Bertrand Mandico appelle très justement une sorte de « rite païen ». Mais la dimension satirique ne s’arrête pas là puisque débarquent sur place de riches américains : un entrepreneur véreux, une épouse nymphomane et une espèce de cow-boy rêvant d’exploiter une mine d’or sur place mais devant d’abord réunir les fonds… Kansas lui demandera d’ailleurs ce qui lui a donné envie de se lancer dans la recherche d’or. Ce à quoi son acolyte lui parlera du Trésor de la Sierra Madre. Le passage est assez drôle car l’unique référence de ce projet est un film. Il y a chez Hopper une disproportion entre l’imaginaire tout-puissant importé par le cinéma et la réalité du terrain. Le monde semble avoir perdu sa « réalité » sous les coups de boutoir d’un imaginaire hollywoodien, imaginaire que le cinéaste met à mal.
Car l’enjeu du film, c’est la violence que masque cette hégémonie hollywoodienne et ses mensonges. Violence qui s’exprime à la fois par une sorte de colonisation des esprits, pendant « fictif » aux exactions commises au même moment au Vietnam. Mais violence également au cœur de fictions qui finissent par « contaminer » le Réel. On pourrait voir dans le film des péruviens une manière de se réapproprier cette violence et de la diriger contre le colon (Kansas est la cible des autochtones). Mais Hopper se montre plus subtil et n’assène pas de leçon tiers-mondiste. Au contraire, en tant que victime de la population, il montre les phénomènes de meutes qui s’abattent souvent sur l’individu un peu marginal, à la manière des ploucs qui tiraient au fusil sur les motards d’Easy Rider.
La force du film est de ne pas assigner à un caractère unique ses personnages. Si Kansas peut sembler être une « victime » (ce que je viens de souligner), il est loin d’être innocent et s’avère souvent odieux, notamment dans ses relations avec Maria (qu’il n’hésite pas à frapper).
La force du film d’Hopper, c’est de rester dans cette ambiguïté, de ne pas délivrer un message clair et de mettre à mal notre perception des choses afin que nous conservions toujours un œil critique sur ce qui est montré…