L’Au-delà (1981) de Lucio Fulci avec Catriona MacColl, David Warbeck, Veronika Lazar (Editions Artus Films)

© Artus Films

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Difficile d’évoquer l’un des films les plus commentés par les amateurs de cinéma fantastico-horrifique. L’Au-delà fait partie de ces (rares) classiques inépuisables où le fan va se ressourcer régulièrement. Je me souviens que j’ai longtemps fantasmé sur ce titre qui me faisait trembler. Un de mes copains me faisait miroiter des horreurs jamais vues et évoquais avec moult trémolos dans la voix le personnage de Joe le plombier. Pourtant, je n’ai jamais osé (était-il disponible ?) l’emprunter au vidéoclub où je m’approvisionnais en VHS destinées à meubler mes week-ends à la campagne.

Ce n’est que plus tard que j’ai découvert le film de Fulci, sans doute à la mauvaise époque (je suis de plus en plus persuadé qu’il y a toujours un « bon » moment pour découvrir les films) car le scénario (à vrai dire assez filandreux) et l’interprétation (la VF ne devait pas arranger les choses !) m’avaient tenu éloigné de cet Au-delà.

Le magnifique combo livre/DVD/Blu-Ray d’Artus tombe à point nommé pour une redécouverte sereine. Et je dois dire que je n’ai pas été déçu, si ce n’est par moi-même qui était passé à côté de la stupéfiante beauté macabre du film.

Ce qui est étonnant avec L’Au-delà, c’est que Fulci ne se distingue pas, au premier abord, de tous les artisans italiens de cette époque qui prirent un malin plaisir à adapter tous les grands succès du cinéma Hollywoodien à leur sauce. On percevra ici l’influence évidente de Romero et de ses morts-vivants, notamment dans l’avant-dernière séquence à l’hôpital où David Warbeck tire à bout portant sur les ressuscités comme dans Zombie. On mesurera également ce que le cinéma de Fulci doit à Dario Argento, notamment Suspiria (la bande-son saturée de voix démoniaques, la demeure « hantée », le chien qui se retourne contre sa maîtresse aveugle) et Inferno (le livre des trois-mères est ici remplacé par le grimoire Eibon). D’autres références sautent aux yeux, qu’il s’agisse de l’univers « innommable » de Lovecraft ou les demeures hantées à la Edgar Poe (avec une malédiction ancienne qui fait toujours effet).

Et malgré ce patchwork de références, L’Au-delà est sans doute l’un des films les plus personnels de Lucio Fulci. Si le scénario ne brille pas par son originalité (un hôtel construit sur l’une des sept portes de l’Enfer), il n’est qu’un simple support au cinéaste pour développer ses visions infernales. J’avais trouvé le « gore » du film un brin complaisant à la première vision. Or si le cinéaste joue évidemment avec l’appétit de « sensationnel » et d’émotions fortes que réclame le spectateur, il le fait en véritable peintre (la profession du personnage qui se fait crucifier lors du prologue car il a découvert la vérité sur les lieux) et il utilise la matière organique comme autant d’éléments picturaux. Chez Fulci, on ne trouvera ni respirations érotiques, ni la moindre trace d’humour et de second degré mais une manière assez unique de filmer les chairs attaquées, rongées, putréfiées. Dans une scène se déroulant à l’hôpital, une veuve venue vêtir son défunt mari a le visage rongé par un acide. Une sorte d’immense flaque sanguinolente mousseuse se répand sur le carrelage blanc et menace une adolescente. A la vue de ce très lent écoulement de sang sur la blancheur immaculée du sol, on songe au mot de Godard « pas du sang, du rouge » tant la scène vaut pour la plasticité de la vision.

Aux rebondissements, Fulci privilégie une atmosphère putride et glauque. L’Au-delà se déroule en Louisiane, dans un hôtel particulier de style colonial. Le cinéaste joue avec la moiteur des lieux et nous invite dans des sous-sols suintants, des chambres où les baignoires remplies d’eaux croupies sont bouchées par des sortes d’algues répugnantes. Quant à sa manière d’appréhender l’horreur, elle est toujours aussi épidermique. Dans ma chronique sur L’Enfer des zombies, j’avais évoqué le goût du cinéaste pour les yeux. On retrouvera ici deux énucléations (dont une fameuse puisqu’un clou planté dans un mur traversera le crâne d’une femme pour lui faire sauter ledit œil !). Pour Fulci, il s’agit de « clouer » le spectateur à sa place et ne pas lui laisser l’occasion de respirer : beaucoup de gros plans et une manière d’immobiliser le personnage afin qu’il soit dans la même position que le spectateur afin de lui infliger toutes les avanies imaginables. A ce titre, la scène de l’homme à la bibliothèque, paralysé par une chute et dont le visage est déchiré et dévoré par d’immondes mygales et autres tarentules reste très impressionnante.

Avec ce film très personnel, Fulci cherche à montrer une vision assez convaincante de l’Enfer. Il joue d’ailleurs avec une certaine iconographie chrétienne puisque, lors du prologue, le peintre qui a découvert une des portes de l’Enfer est littéralement crucifié. Mais ces limbes sont surtout intérieurs. Le cinéaste aime beaucoup les personnages d’aveugles, comme si l’horreur qu’il nous montre n’était en fait que la projection de tourments intérieurs. Avec beaucoup de talent, il joue à brouiller les frontières entre la « réalité » et des visions oniriques, à l’image de cette magnifique scène sur un immense pont totalement irréel où apparaît pour la première fois l’aveugle Emily. L’Enfer selon Fulci est un endroit glacial, sans Dieu, où l’individu est livré à ses propres souffrances. La cécité devient alors une sorte de nécessité pour voir au-delà de la surface du monde. Si la scène finale est aussi magnifique, c’est qu’elle est à la fois la projection d’une vision mentale et la reproduction de la toile d’un artiste. A son image, le cinéaste peut traduire les horreurs nichées au cœur de chaque individu. Et c’est peu dire que les visions terrorisantes que nous aura offertes Lucio Fulci resteront indélébiles…  

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