The Intruder (1962) de Roger Corman avec William Shatner (Editions Carlotta Films) Sortie en salles en version restaurée le 15 aout 2018

© Carlotta Films

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On ne présente plus Roger Corman, grand pourvoyeur de séries B voire Z, producteur de génie qui, avec de très petits moyens, lança un certain nombre de grands réalisateurs (Coppola, Scorsese et Joe Dante en premier lieu) et tourna de nombreux films. Avec lui, nous étions plutôt habitués aux monstres caoutchouteux, aux plantes carnivores goulues (La Petite Boutique des horreurs) ou à son beau cycle d’adaptations d’Edgar Poe.

Mais le cinéaste s’est parfois piqué d’aborder des sujets plus « sociaux », ne serait-ce que pour dénoncer les dangers du L.S.D dans le médiocre The Trip ou la bêtise raciste (pléonasme !) et la ségrégation dans ce beau The Intruder.

Adapté par Charles Beaumont de son propre roman, le film suit les traces d’Adam Cramer (William Shatner, futur capitaine Kirk dans la saga Star Trek), abject démagogue arrivé à Caxton, petite ville du Sud des Etats-Unis, pour y inoculer le venin de ses idées ségrégationnistes. En effet, la petite bourgade a récemment adopté une loi permettant à une dizaine d’élèves noirs de suivre les cours dans un lycée jusqu’à présent réservé aux blancs. En prenant le pouls de la vie locale, Cramer réalise qu’une grosse majorité de la population est contre cette mesure et il va en profiter pour faire monter la pression et semer le trouble dans les esprits…

La grande réussite de The Intruder tient avant tout à son aspect « série B » : un récit court (1h19), une mise en scène sèche comme un coup de trique et tendue comme un arc pour un propos d’une remarquable efficacité. Corman prouve qu’un manque de moyens n’est pas forcément synonyme de manque d’idées et il nous le prouve par un tas de trouvailles visuelles. Les raccords entre les séquences sont particulièrement bien trouvés et soignés : métonymie entre certains objets (pistolet/tireuse à bière), jeu avec des portes qui s’ouvrent et se ferment ou encore ce beau raccord qui a lieu après l’arrestation du jeune Noir accusé à tort de viol : un insert sur un pion blanc mangeant un noir au jeu de dames !  

On pourra sans doute reprocher au cinéaste un certain schématisme dans les oppositions entre des personnages qui n’existent jamais autrement que comme symboles (soit du bourreau, soit de la victime). Même si Corman tente d’offrir à quelques-uns une certaine évolution (le beau personnage du journaliste), il s’agit avant tout d’illustrer un discours et il n’a donc pas peur de s’appuyer sur de grosses ficelles.

Pourtant, The Intruder n’a rien de ces fictions « de gauche » un poil démago à la Dupont Lajoie de Boisset. Peut-être parce que Corman n’oublie jamais un certain ancrage documentaire qui constitue la grande force de son film aujourd’hui. Le cinéaste raconte qu’il a recruté des figurants locaux qui étaient, pour la plupart, favorables à la ségrégation et qui jouaient leur propre rôle. Du coup, les scènes de foule où tout risque de basculer vers le lynchage sont à la fois impressionnantes et effrayantes. Le film est tourné dans l’urgence et ça se sent. Dénoncer l’intolérance, le racisme et la violence au début des années 60 dans le Sud profond n’avait rien d’évident.

D’autre part, Corman montre avec beaucoup de talent les mécanismes de la manipulation et de la démagogie. Cramer est un « populiste » (au mauvais sens du terme) qui se sert d’un certain charisme pour tromper la foule et ne servir que son intérêt personnel. Quand il se retrouve face au mari qu’il a trahi et trompé, il se décompose et montre son vrai visage : un lâche doublé d’un pervers.

On trouvera de nombreux points communs entre ce Cramer et le président actuel des Etats-Unis : une démagogie sans limite, une profonde bêtise consistant à attiser la haine du peuple contre ceux qui sont pourtant encore plus opprimés qu’eux et une manipulation permanente pour asseoir un Pouvoir qui ne profite qu’à ceux qui l’exercent…

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