Interior Landscape (2005-2013) de Robert Todd (Editions Re:Voir)

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Je ne crois pas l’avoir souligné dans mes précédentes chroniques évoquant cet éditeur mais dans la mesure où la maison Re:Voir nous propose toujours des œuvres relevant du cinéma dit « expérimental » (donc potentiellement déconcertant pour quiconque ne jure que par le cinéma figuratif et narratif), ces films sont toujours accompagnés de copieux livrets bilingues.

De mon côté, j’ai fait le choix de ne jamais les lire avant d’avoir vu les films. Je ne suis pas un spécialiste de ce cinéma (loin de là) mais j’aime me laisser porter par de nouvelles expériences, par de nouvelles sensations et tenter de trouver un fil directeur, des significations même si mes intuitions sont peut-être à l’exact opposé de ce qu’a imaginé le créateur.

Prenons le cinéma de Robert Todd dont je n’avais jusque-là jamais entendu parler. Evergreen débute par une succession de très gros plans sur la nature : des feuilles, des herbes, des plantes… On est alors tenté de rejeter le court-métrage en bloc, de n’y voir que du cinéma amateur en se souvenant de son père qui filmait pendant un quart d’heure ses plates-bandes après avoir acheté son premier caméscope. Et puis on se laisse prendre par l’indéniable sens plastique de Todd, sa manière de découper les éléments naturels en contre-jour, de porter son attention sur une certaine qualité de lumière, de rendre le plus précisément les textures… On constate ensuite chez lui un goût pour les contrastes : aux plans idylliques  d’une nature paisible du début succéderont des plans de grilles, de friches industrielles, de fils barbelés… Cet art du contraste, on le retrouvera dans Interplay où aux images d’une mère et sa fille se détendant dans l’eau immaculée d’une piscine privée succéderont les plans d’une fontaine publique où barbote une faune beaucoup plus « populaire ». Dans Habitat, la verticalité d’un tronc d’arbre est utilisée comme rime à de nombreux plans d’immeubles anonymes.

Ces contrastes pourraient nous inviter à une interprétation basique des films : l’opposition immémoriale entre une nature vue comme un sanctuaire et la folie des hommes qui la détruit. Mais les choses ne sont évidemment pas aussi simples et Robert Todd joue surtout sur la plasticité des éléments qu’il met en scène. Si Evergreen est le film que je trouve le plus beau, c’est que s’y déploie un sens très sûr de la composition et des oppositions plastiques entre des murs en béton et un ciel d’azur, entre les grilles et la forêt qui en semble prisonnière…

Il ne s’agit pas pour Todd de déifier la nature mais de porter un autre regard sur celle-ci. Dans Undercrowth, son film le plus curieux, les plans de forêt sont montés en alternance avec ceux d’un bon gros hibou finissant par donner l’impression que tout le film est construit autour du point de vue du rapace. Within et Threshold donnent également cette impression d’une autre vision sur la nature et ces fragments prélevés au Réel visent moins à un « discours » qu’à dessiner le paysage intérieur du cinéaste. On y voit alors moins un environnement familier qu’une sorte de projection d’un inconscient avec ses barrières, ses limites, sa poésie et sa liberté…

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