Mel Gibson : le bon, la brute et le croyant (2018) de David Da Silva (LettMottif, 2018)

Chemin de croix

Il y a un certain nombre d’acteurs pour lesquels je n’ai aucun goût (voire même un certain dégoût). Pourtant, j’arrive toujours à trouver dans leurs filmographies un ou deux titres que j’aime bien. L’exemple parfait est le nabot Tom Cruise, comédien que je ne peux vraiment pas supporter mais qui a pourtant tourné quelques chefs-d’œuvre (Kubrick, De Palma) et quelques bons films pour Scorsese ou Ben Stiller. J’arrive même à aimer un film dans l’œuvre de Stallone (Cop Land) ou celle de cette bûche de Schwarzenegger (True Lies). Mais Mel Gibson est un cas à part car, contrairement à Fabrice du Welz qui signe la préface de l’ouvrage, c’est un acteur que je n’aime pas du tout et dont je n’aime, même en cherchant bien, aucun film (un petit bémol néanmoins : je n’ai pas vu les deux qu’il a tournés sous la direction de Peter Weir. Tout espoir n’est pas perdu !). Qu’il s’agisse des films dans lesquels il a joué, de la très surestimée saga Mad Max (le troisième est même l’un des plus infâmes navets vus dans toute mon existence avec Corps de chasse de Ricaud !) aux nanars reaganiens des années 80 (L’Arme fatale) en passant par le pensum de Wenders (The Million Dollar Hotel) mais également de ceux qu’il a réalisés (son atroce Passion du Christ).

L’un des premiers mérites du livre de David Da Silva, c’est qu’il est parvenu à m’intéresser à un bonhomme dont je n’avais, pour être tout à fait honnête, strictement rien à faire ! L’approche est classique : de manière chronologique, l’auteur revient sur la carrière de Mel Gibson. Après avoir pris soin de préciser ses origines familiales complexes (un père catholique, ultra-conservateur qui se "distinguera" par ses propos négationnistes et complotistes) ; Da Silva évoque ses débuts en Australie, sur les planches mais également devant les caméras de George Miller (qui fera du comédien une star internationale) et Peter Weir. Puis il décrit son arrivée à Hollywood, des premiers pas timides jusqu’au triomphe de L’Arme fatale qui en fera une des vedettes les plus convoitées. Les années 90 et le début des années 2000 constitueront l’apogée de son règne : il est l’un des acteurs les plus aimés, il créé sa propre société pour assurer son indépendance et il débute à la réalisation, notamment avec le beau succès que constitue Braveheart.

Ensuite, c’est le début de la chute. Da Silva revient en détail sur la déchéance du comédien : divorce, rapports difficiles avec les journalistes, propos douteux prononcés sous l’emprise de l’alcool et soupçons d’antisémitisme qu’attisera encore plus la sortie de sa controversée Passion du Christ.

Le plus intéressant dans cet essai est la manière dont l’auteur met en parallèle la trajectoire personnelle de Mel Gibson et le type de rôles qu’il a incarné. Pour David Da Silva, le comédien se caractérise par un double visage très marqué : à la fois celui du héros positif, épris de justice et de bonté (du justicier de Mad Max au héros William Wallace de Braveheart en passant par le flic de L’Arme fatale) mais également un homme tourmenté, suicidaire (il analyse à cette aune une scène du premier Arme fatale) et torturé par de nombreuses pulsions destructrices (alcoolisme, accès de violence…)

Si Gibson, acteur qui n’a jamais dissimulé sa foi catholique, s’est intéressé à la passion du Christ, c’est parce qu’il y a chez lui et dans les principaux rôles qu’il a incarnés une véritable dimension christique menant de la gloire à la déchéance pour atteindre la rédemption.

Après avoir été ostracisé à Hollywood, Gibson revient sur le devant de la scène notamment grâce à son amie Jodie Foster (qui lui donne le rôle principal du Complexe du castor où il incarne un homme dont le parcours et les liens familiaux sont assez similaires à ceux du comédien) puis en signant Tu ne tueras point qui sera un beau succès.

Entre analyses étayées (plus de 300 notes de bas de page pour un essai relativement court, des références à Eliade, René Girard, Durkheim…) et anecdotes, Daniel Da Sila démêle de façon assez convaincante les fils de la personnalité complexe de Mel Gibson. On peut toutefois regretter un style parfois un peu scolaire et des tournures un peu lourdes dans la démonstration. On constate aussi que l’auteur est plus convaincant lorsqu’il défend l’acteur envers et contre tous que lorsqu’il défend les films que tout le monde aime (les Mad Max, par exemple). Lorsqu’il aborde les polémiques qui ont entaché la carrière de Gibson, Da Silva se montre assez fin, présentant tous les tenants et aboutissants des « affaires », reconnaissant à la fois la part sombre du comédien (il ne s’agit pas de l’aduler aveuglément) mais en parvenant toujours à nuancer de manière précise (le goût pour tout monter en épingle de la presse à scandale, par exemple), en remettant les choses dans leur contexte.

Paradoxalement pour quelqu’un qui n’aime pas Gibson comme moi, c’est lorsqu’il est à terre que j’ai le plus envie de le défendre et que je le trouve le plus touchant d’autant plus qu’il est souvent attaqué pour de mauvaises raisons (voir les considérations assez stupides de Michel Ciment sur Apocalypto lorsqu’il tente de déchiffrer de l’antisémitisme dans un film consacré aux Mayas ! « Michel Ciment analyse-t-il tous les films de Roman Polanski à la loupe, en se demandant si des messages douteux, en lien avec ses ennuis judiciaires, sont présents ? »)[1]

Après, on est aussi en droit de rester totalement froid face à cette dimension « christique » qui caractérise Mel Gibson et trouver que sa « foi » n’a pas encore offert au septième art des œuvres à la hauteur de celles de Dreyer ou Bresson. En cela, la comparaison finale avec King Vidor me paraît un peu tirée par les cheveux. Si elle fonctionne d’un point de vue « thématique » et sociologique (l’ambiguïté de l’auteur de Duel au soleil, à la fois « socialiste » -Notre pain quotidien- et farouchement individualiste –Le Rebelle-) mais elle ne tient pas une seconde d’un point de vue « esthétique ».

Au bout du compte et même si je ne partage pas (loin de là !) l’admiration que David Da Silva porte à l’acteur, Mel Gibson : le bon, la brute et le croyant est un essai honnête et intéressant qui nous permet de redécouvrir une figure que l’on croyait monolithique sous un autre angle.

Et peut-être qu’un jour, qui sait, j’apprécierai un film avec Mel Gibson…

 

[1] Je n’aime pas du tout La Passion du Christ pour des raisons esthétiques mais le supposé antisémitisme qui suppurerait du film m’a toujours semblé suspect et un faux débat.

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