La Nurse (1990) de William Friedkin avec Jenny Seagrove (Elephant Films) Sortie le 21 novembre 2018

© Elephant Films

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J’avais un souvenir assez épouvantable de La Nurse que j’ai vu il y a un certain nombre d’années (voilà qui ne nous rajeunit pas !). Dans la mesure où les éditions Elephant ont la judicieuse idée de nous proposer une petite salve de films fantastiques assez alléchants (d’autres chroniques sont à venir), j’ai eu envie de redonner sa chance au film de Friedkin. Après coup, mon avis est moins tranché qu’à l’origine. Je ne suis pas totalement convaincu par le résultat (ce n’est pas, loin s’en faut, un grand Friedkin) mais il n’est pas totalement inintéressant.

Cette relative indulgence s’explique peut-être parce que j’ai vu depuis d’autres films du cinéaste (entre autres, Bug et Killer Joe) et qu’on réalise aujourd’hui que La Nurse n’est pas une œuvre incohérente dans la filmographie de Friedkin, réalisateur obsédé par la question du Mal. Ici, il met en scène une nourrice diabolique qui, régulièrement, sacrifie de très jeunes bébés à un arbre maléfique. Une voix-off nous apprend au début du film que dans certaines traditions, les arbres recèlent en eux l’esprit du Bien mais qu’il en existe aussi entièrement possédés par l’esprit du Mal. Le plus intéressant dans La Nurse, c’est la manière dont cet esprit du Mal menace l’espace domestique des personnages. Une nourrice devrait être, par définition, un être rassurant qui s’occupe du bébé et le protège quand ses parents ne sont pas là. Elle prend ici le visage extrêmement séduisant de Jenny Seagrove (voir la réaction du père quand il la surprend au bain avec son bébé) et, par jeu de contrastes, un visage absolument terrifiant. Lorsqu’il se cantonne à la maison, à une sorte de huis clos étouffant, Friedkin donne le meilleur de lui-même. L’innocence du nourrisson est d’autant plus menacée que le danger possède tous les attributs d’une nourrice prévenante et protectrice.

L’autre intérêt du film est le rapport qu’il existe entre l’arbre et la jeune femme diabolique. Friedkin joue sur des rapports extrêmement ambigus entre l’humanité du personnage et sa nature profonde. Camilla git au pied de l’arbre, nue, et se laisse caresser par ses branches. A la fin, elle prend une forme de créature mi-femme, mi-végétale permettant au cinéaste de personnifier une idée du Mal intrinsèque à la nature humaine.

Malheureusement, tout le film n’est pas de cet acabit et le cinéaste ne parvient pas à renouveler l’exploit de L’Exorciste auquel on ne peut s’empêcher de penser puisqu’il est une fois de plus question d’une sorte de possession diabolique et du sacrifice d’un enfant. Le problème tient sans doute à la construction d’un récit assez faible. Entendons-nous bien, on ne demande pas à un film fantastique d’être « réaliste » (ça serait un contresens) mais d’être au moins « crédible » lorsqu’il déploie son univers. Or Friedkin traite son histoire un peu par-dessus la jambe et peine à donner du souffle à ses visions. Pour prendre un exemple, lorsque les personnages sortent, il n’y a plus aucune notion de « topographie ». L’arbre peut jouxter la maison d’un ami du couple victime de la nourrice ou paraître perdu au milieu d’une forêt lointaine (à l’image de la scène finale où le père traverse monts et ruisseaux pour le retrouver). Dans le prologue, un couple quitte la maison en voiture mais fait vite demi-tour car madame a oublié ses lunettes. Mais il a suffi de ce laps de temps pour que la nourrice se soit déjà fait la malle avec le nourrisson ! Ce sont bien évidemment des détails mais qui rompent le pacte de croyance que le spectateur serait prêt à accorder au cinéaste.

C’est dommage car il y avait un vrai potentiel pour un beau conte horrifique dans La Nurse avec cette créature diabolique vivant au cœur d’une forêt profonde entourée d’effrayants et belliqueux coyotes. Restent alors une certaine atmosphère lorsque le cinéaste nous cloitre dans la maison et quelques belles scènes pour rendre moins amère la déception…

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