Outre Tombe (2018) d’Alexandre H. Mathis avec Pamela Stanford

Les fantômes vinrent à sa rencontre...

Même s’il avait déjà tourné en 1970 quelques courts-métrages en 16 mm distingués par Dominique Noguez, Alexandre Mathis est surtout connu pour ses livres, qu’il s’agisse de son mythique essai consacré à José Benazeraf édité par Eric Losfeld ou ses romans obsessionnels (dont le superbe Les Fantômes de M. Bill).

Avec Outre Tombe, il réalise une œuvre-fleuve de sept heures en s’attachant aux pas d’une mystérieuse femme errant dans les paysages désertés du Sud-Ouest de la France. Cette femme est une sorcière, Catherine Lapeyre, revenue sur terre après avoir été brûlée par le clergé au 17ème siècle. Elle est incarnée par Pamela Stanford que les amateurs de Jess Franco connaissent bien puisqu’elle fut l’inoubliable héroïne des Possédées du diable et qu’elle tient des rôles dans Célestine bonne à tout faire et Les Chatouilleuses. Alexandre Mathis en fait une véritable muse, à l’image de ces « films portraits » qu’il lui dédie à la manière des Screen Tests de Warhol.

Pour le spectateur habitué au cinéma narratif traditionnel et aux dramaturgies classiques, le film risque de surprendre. Tourné en caméra vidéo, Outre Tombe a parfois des allures de film amateur (terme à prendre dans son sens noble initial). Un film tourné en « couple » où l’auteur se contenterait de suivre les traces de sa « compagne » et n’hésiterait pas à intégrer les « ratés » dans son récit : une caméra qui tremble, des scènes quotidiennes qui ne semblent plus avoir de liens avec le récit (Pamela Stanford s’adresse au cinéaste qui lui répond hors-champ)… Pourtant, quelque chose finit par advenir dans ce film. S’il fallait trouver une comparaison pertinente pour le qualifier, c’est du côté des « carnets filmés » de Gérard Courant qu’il faudrait se tourner. Dans les deux cas, nous sommes face à des cinéastes qui œuvrent dans le cadre d’une économie « domestique » mais qui ne négligent pourtant ni le cadre, ni les recherches plastiques.

Mais tandis que Courant est un cinéaste du présent qui filme pour le futur, Alexandre Mathis est un cinéaste obsédé par le passé, par les traces de ce passé que contient encore le présent. Autant son film frappe par la désertification de toute présence humaine (à l’exception d’un chevalier templier), autant Mathis est obsédé par les monuments, les vieilles enseignes, les anciens cinémas qu’il filme admirablement… Il procède parfois par surimpression en entrechoquant des visions présentes et de vieilles représentations de cartes postales. Comme dans ses romans, on retrouve une certaine méticulosité pour les détails, le recensement maniaque des traces d’un passé à jamais révolu.

Tout le film fonctionne sur ces allers et retours (ou n’est-ce pas un aller sans retour pour paraphraser le titre d’un de ses très beaux romans ?) entre le présent, où Pamela Stanford ne joue pas mais est ; et ces réminiscences du passé, où la comédienne devient véritablement Catherine Lapeyre avec une stature parfois hiératique qui évoque le cinéma de Jean Rollin ou Jess Franco (face à un paysage noyé dans le brouillard, on a l’impression que la « comtesse » Lina Romay va surgir vêtue d’une simple cape et de bottes).

Même dans le plus parfait dénuement, Alexandre Mathis possède un véritable regard de cinéaste : un sens du cadre et une volonté de travailler l’image pour éviter la platitude du rendu vidéo avec des surimpressions, des rimes et répétitions et une attention toute particulière aux éléments plastiques des choses qui nous environnent (les superbes moments où la caméra fixe le défilement des trains).

Outre Tombe n’est donc pas une expérience de cinéma ordinaire. Il faut se laisser porter par les durées et par la splendeur des lieux que le cinéaste scrute méticuleusement. Comme si par la grâce de l’image, il parvenait à faire revivre les spectres et les fantôme d’un passé à jamais anéanti…

Les fantômes vinrent à sa rencontre...
Retour à l'accueil