Lorsque Hitchcock tourne Psychose, il ne pouvait sans doute pas imaginer la folle descendance qu’engendrerait son tueur névrosé. Norman Bates, c’est l’irruption de la figure du tueur en série, du maniaque dépressif qui se venge (essentiellement sur les femmes) des traumatismes subis dans son enfance. On n’apprendra à personne que ce personnage fut sans doute celui qui influença le plus tout un courant du cinéma horrifique qui ne s’est jamais remis du meurtre de Marion Crane sous sa douche.

C’est à l’aune du film séminal d’Hitchcock que l’on peut analyser Maniac de William Lustig, premier long-métrage « classique » du cinéaste après deux films pornos tournés sous le pseudonyme de Billy Bagg. Mais d’une manière générale, on peut se demander si Lustig ne s’est pas toujours appuyé sur des œuvres déjà existantes pour déployer, à sa manière, un cinéma paroxystique. 

Le cinéma paroxystique de William Lustig

Maniac suit en effet les traces d’un tueur en série particulièrement effrayant qui, tout comme Norman Bates, a été traumatisé par sa mère durant son enfance et qui s’efforce désormais de « reconstituer » cette image maternelle en scalpant ses victimes et en confectionnant de macabres mannequins (certaines visions de ces poupées grandeur nature rappellent également le cinéma de Mario Bava). Mais là où Hitchcock nous proposait un meurtre extrêmement stylisé (c’est le montage et la musique dissonante de Bernard Herrmann qui donnaient une impression de grande violence), Lustig en rajoute dans les exactions sanglantes. Le mode opératoire de Frank Zito est beaucoup plus brutal que celui de Bates : égorgements sanglants, scalps peu ragoûtants, coup de feu à bout portant qui fait exploser le crâne d’un jeune homme – Tom Savini lui-même, auteur des effets-spéciaux-). Dans le rôle du tueur inspiré du célèbre Ed Gein, Joe Spinell est terrorisant à souhait et l’on aura rarement représenté la folie meurtrière avec autant de conviction.

Vigilante (1983) se présente également comme une relecture musclée du Justicier dans la ville de Michael Winner. Dans le film de Lustig, un groupe de « voisins vigilants » décident de s’organiser et de donner une bonne leçon aux voyous qui sèment la terreur dans les rues des villes. Eddie Marino (Robert Forster, bien avant Jackie Brown) se tient à l’écart de cette milice « citoyenne » jusqu’au jour où sa femme est violemment agressée et son fils sauvagement tué (le cinéma de Lustig est souvent méchant et on n’hésite pas à tirer à bout portant sur un gamin). Pour enfoncer encore plus le clou, le cinéaste montre la corruption généralisée de la justice et le laxisme effarant des autorités qui ne condamnent le meurtrier qu’à une peine avec sursis tout en envoyant en taule le malheureux Eddie qui a osé se révolter… Inutile de préciser que ça chauffe lorsqu’il sort de cabane !

Le film est bien évidemment extrêmement douteux éthiquement parlant. Si Eddie affirme une fois que la vengeance et l’autodéfense font basculer les justiciers du côté des criminels puisqu’ils emploient les mêmes méthodes, ces préventions sont vite oubliées face à l’ampleur de l’injustice qu’il subit.

Les ficelles sont assez épaisses et Lustig fera grincer les dents les « dames patronnesses de justice sociale » en opposant des personnages extrêmement caricaturaux pour justifier un discours douteux.

Le cinéma paroxystique de William Lustig

Pourtant, Vigilante s’avère être un film intéressant et, à l’instar de Maniac, un exemple de ce cinéma paroxystique cher à Lustig. Parce que dans les deux cas, le cinéaste parvient à revitaliser ces schémas somme toute classiques en les inscrivant dans la réalité du New-York du début des années 80. Outre l’extrême habileté de ses mises en scène, héritières des grandes heures de la série B d’antan (découpage au cordeau, montage nerveux, mouvements de caméra virtuoses…) ; Lustig s’inscrit parfaitement dans la lignée de ces films new-yorkais décrivant la grosse pomme comme une sorte de Pandémonium contemporain livrée aux hordes de voyous (du Scorsese de Taxi Driver aux films de James Glinckenhaus -The Exterminator-, des premiers Ferrara à ceux de Frank Henenlotter –Basket Case-). Il suffit au metteur en scène de filmer un coin de rue glauque, un no man’s land urbain inquiétant pour nous plonger dans l’atmosphère hyperréaliste et oppressante de la cité gangrénée par la violence et la délinquance à cette époque.

Tous ces films reflètent également un certain délitement des repères moraux où les frontières entre le Bien et le Mal finissent par s’estomper : dans Vigilante, le procureur et l’avocat sont de connivence avec les assassins tandis que les victimes se vengent aussi violemment que les criminels. Lustig poursuivra dans cette voie en montrant un flic psychopathe dans le très réussi Maniac Cop.

Dommage que sa carrière se soit plus ou moins arrêtée après cette saga (Maniac Cop aura deux suites) car on tenait avec Lustig un excellent artisan capable de nous faire humer l’air fétide du New-York des années 80 et de saisir avec fracas le désordre de cette jungle urbaine.

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