Les zombies de Sang-Ho Yeon
Il faudrait débuter par une scène frappante de Seoul Station tant les images proposées par Sang-Ho Yeon résonnent parfaitement avec celles que nous offrent aujourd’hui l’actualité sociale. Un groupe de survivants cherche à tout prix à échapper à une horde de zombies déchaînée. A l’aide de battes de base-ball, ils arrivent tant bien que mal à repousser les assauts des morts-vivants mais ils ne peuvent pas non plus avancer, coincés qu’ils sont par les forces de l’ordre qui tirent à vue et gazent à l’envi. En extrapolant un peu, comment ne pas y voir des réminiscences des gilets jaunes se soulevant pour éviter le déclassement total, la survie du zombie paupérisé et la violente répression d’un pouvoir défendant à tout prix ses quartiers, ses privilèges ? Ironie suprême, c’est par la vision de deux « gilets jaunes » (chargés de surveiller la circulation) que débute Dernier train pour Busan tandis que des images confuses d’émeutes vues par les passagers du train à la télé feront ressortir un peu plus tard cette même couleur jaune.
Sans vouloir à tout prix relier les deux films de Sang-Ho Yeon à l’actualité franco-française (pas tant que ça d’ailleurs puisque des manifestations similaires – tues par les médias- ont eu lieu un peu partout dans le monde), difficile de nier que le cinéaste renoue puissamment avec la vision politique du zombie héritée de Romero. C’est du côté des clochards et autres sans-abris passant leurs nuits misérables à la gare de Séoul que débute l’épidémie dans Seoul Station. Et dans un premier temps, les morts-vivants menacent surtout les laissés-pour-compte du capitalisme sauvage, les futurs déclassés d’un système économique inique : une jeune femme que son petit ami sans le sou voudrait prostituer, un vieil homme sans famille, rebut d’une société où ne compte désormais plus que la productivité… Le cinéaste joue de manière très intéressante sur les contrastes, entre le ventre de la gare qui abrite tous les damnés de la terre tandis que le récit se terminera dans un luxueux appartement témoin vide, symbole extrêmement fort d’une économie qui n’a désormais plus besoin de l’humain pour s’auto-entretenir.
On peut juste regretter que l’animation (car Séoul Station est un film d’animation) soit un peu raide et pauvre, ne permettant pas de donner toute l’ampleur souhaitée à ces visions infernales. Les attaques de zombies restent néanmoins assez impressionnantes, notamment lorsqu’ils se jettent d’un toit pour tenter d’attraper l’héroïne en équilibre sur des passerelles de fortune et qu’ils s’écrasent au sol. Car contrairement aux créatures de Romero ou de Fulci, celles de Sang-Ho Yeon sont extrêmement rapides et se jettent sur leurs victimes avec une effrayante célérité.
Cette caractéristique, on la retrouve dans Dernier train pour Busan qui met en scène, cette fois, un groupe de survivants coincé avec des zombies dans un train filant vers la principale ville du sud de la Corée, dernière zone non contaminée par l’épidémie. Là encore, la dimension politique est prégnante. La profession de celui qui deviendra le héros du film est « gérant d’actifs boursiers », soit la quintessence du parasitisme financier sans doute cause de cette révolte des morts-vivants (il est question d’une société de biotechnologie sauvée autrefois grâce à l’action des boursicoteurs). L’homme, qui accompagne sa petite fille chez sa mère à Busan, est le symbole même d’un capitalisme devenu fou : il ne pense qu’à lui, délaisse sa famille et transmet des valeurs odieuses à sa fille (« à partir de maintenant, tu ne penses qu’à toi »). Si ce personnage évoluera en cours de récit, découvrant les vertus de l’entraide, d’autres prendront le relais et n’hésiteront pas à sacrifier des vies humaines pour leur propre confort.
La beauté du film réside également dans sa manière de jouer avec les lieux. Les wagons du train, envahis par les zombies, deviennent des « zones à défendre » pour les survivants qui s’organisent et résistent. La mise en scène, qui se déploie dans des espaces exigus, est constamment inventive et parvient à éviter le mouvement binaire « attaques de zombies/ plans pour les éviter ».
Comme dans Seoul Station, Yeon n’hésite pas à jouer sur les cordes du mélodrame pour donner un caractère pathétique à ses récits (je ne vous dévoilerai pas les fins mais elles sont assez surprenantes dans les deux cas). Il s’agit, à chaque fois, de s’accrocher aux derniers vestiges d’une humanité confrontée à l’effondrement d’un monde sous les coups de boutoirs du capitalisme mondialisé.
Au fond, les zombies de Sang-Ho Yeon sont des figures désespérées, symboles d’un monde qui ne cesse de mettre de l’économie là où il restait encore un peu de vie…