Shampoo (1975) d’Hal Ashby avec Warren Beatty, Julie Christie, Goldie Hawn, Lee Grant, Carrie Fisher (Carlotta films). Sortie en combo DVD/BR le 6 mai 2019

© Carlotta films

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A propos de Shampoo et d’Hal Ashby, Jean-Baptiste Thoret évoque rien de moins qu’un « film absolument prodigieux réalisé par l’un des cinéastes les plus importants du nouvel Hollywood ». Je ne voudrais pas paraître taquin ni jouer les Michel Ciment de sous-préfecture mais il semble que ces derniers temps (Cf. Bogdanovich), la tentation de redécouvrir des cinéastes « ignorés » et de les considérer comme des « génies incompris » du nouvel Hollywood fasse son chemin, non sans une certaine exagération.  

Disons-le d’emblée, Shampoo est un film effectivement très intéressant, qu’on découvre avec plaisir mais qui est quand même loin du « chef-d’œuvre » annoncé. Le cas Hal Ashby, cinéaste discret mais dont certains titres ont traversé le fil du temps (j’aimerais beaucoup voir Le Retour ou Bienvenue Mister Chance) semble un peu plus complexe : véritable auteur ou artisan malin capable de flairer les bons sujets et de s’associer avec de bons collaborateurs ? (Dans le Dictionnaire des réalisateurs de Tulard – pas forcément une bonne référence !-, la réussite de Huit millions de façons de mourir est attribuée au scénariste Oliver Stone).

Prenons l’exemple de son plus gros succès, Harold et Maude (film que j’aime énormément) : on peut se demander si la réussite de l’œuvre revient au réalisateur ou au scénario piquant de l’excellent Colin Higgins. De la même manière, doit-on attribuer la véritable paternité de Shampoo à Ashby ou à Warren Beatty qui a joué, écrit et produit le film ?

Difficile de répondre mais force est de constater que le comédien est de tous les plans et qu’il donne de sa personne pour incarner ce Casanova des salons de coiffure rêvant d’ouvrir sa propre boutique tout en séduisant sa clientèle pour s’élever socialement. George doit se partager entre sa petite amie Jill (la craquante Goldie Hawn), sa maîtresse Felicia (Lee Grant) et son ex Jackie (Julie Christie). Il se trouve, par ailleurs, que Jackie est la maîtresse du richissime mari de Felicia…

S’il y a bien une chose que l’on ne peut pas retirer à Hal Ashby, c’est d’avoir su humer un certain « air du temps » et d’imprimer à chacun de ses films une petite touche anticonformiste. L’amour entre un adolescent suicidaire et une mamie exubérante dans Harold et Maude reste, à ce titre, l’exemple le plus frappant. Dans Shampoo, le cinéaste montre, à la veille de l’élection de Nixon aux élections présidentielles de 1968, une sorte de frénésie sexuelle qui habite des personnages désireux de vivre selon leurs désirs. La chronique des mœurs de cette fin des années 60 marquée par les utopies, les mouvements d’émancipation et la liberté sexuelle est plutôt bien croquée. Ashby livre également une satire acerbe d’un milieu mondain où règne l’hypocrisie des apparences (George se retrouve embarqué comme faire-valoir afin que le mari de Felicia puisse avoir un œil sur sa maîtresse Jackie qui le rend très jaloux !) et dévoile, par petites touches, l’évolution des rapports amoureux. Si le regard est acide, il se teinte également d’un léger voile d’amertume qu’accentue le décalage entre la sortie du film (après le Watergate) et les années qu’il décrit (encore marquées par le psychédélisme, les chansons des Beatles, de Jefferson Airplane et Jimi Hendrix). En effet, George est l’incarnation d’une quête de jouissance permanente qui caractérisait ces années. Mais le temps a passé et a montré les limites de cette « révolution sexuelle » puisque l’on voit bien que ce « jouisseur » est aussi un parfait égoïste, incapable de s’engager dans une relation véritablement amoureuse et qui finit par perdre tout ce qu’il a. Peut-être tout simplement parce que la jeunesse n’est pas éternelle.

Pas certains côtés, et pas seulement parce que Paul Simon a composé la musique originale du film, Shampoo fait songer au Lauréat de Mike Nichols. Dans les deux cas, nous suivons le trajet initiatique d’un « héros » un peu falot, à la fois révélateur d’une classe aisée dont les mœurs hypocrites s’effritent sous les coups de boutoir de la « modernité » et incarnation d’une évolution ambiguë où la griserie de la « liberté sexuelle » se double d’une certaine crise existentielle.

Shampoo, sans être un film extraordinaire (on aimerait parfois un peu plus de vigueur dans le style), touche néanmoins par ce regard nuancé, ironique et assez lucide sur une Amérique entre deux feux : le reflux des utopies d’un côté et le retour du conservatisme étriqué accompagnant les débuts d’une crise dont on ne voit toujours pas le bout…

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