Minuscule 2 : les mandibules au bout du monde (2018) d’Hélène Giraud et Thomas Szabo avec Thierry Frémont. (Editions Montparnasse) Sortie en DVD et BR le 30 mai 2019

© Montparnasse Films

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Avoir des enfants, c’est trouver une bonne excuse pour parfaire sa culture dans un domaine que j’ai quasiment délaissé depuis bien longtemps : le dessin animé et le cinéma d’animation (je vois déjà les cheveux des spécialistes se hérisser sur la tête : oui, je sais ! Le cinéma d’animation n’est pas réservé aux seuls enfants !). En quelques semaines, j’ai donc pu découvrir l’intégrale de la saison 1 de Minuscule, la moitié de la saison 2 et le premier long-métrage Minuscule : la vallée des fourmis perdues. Si je dois admettre que je suis rentré, au départ, dans cet univers avec certaines réticences, je me suis laissé prendre au charme de ces petits insectes plus vrais que nature. Le talent des créateurs de la série, Hélène Giraud (la fille de Moebius) et Thomas Szabo (je suppose qu’il s’agit aussi du fils du grand Laszlo), est d’être parvenus à éviter le piège de l’anthropomorphisme. En mêlant prises de vue réelles -essentiellement une campagne dépeuplée mais aussi quelques intérieurs de maison, quelques routes dangereuses où passent des voitures menaçantes, quelques silhouettes humaines- et animation ; ils sont parvenus à établir un équilibre entre un certain réalisme « documentaire » et une fantaisie  assez irrésistible.

Les petites saynètes de Minuscule, pour un adulte, paraissent un tantinet répétitives et pas forcément très folichonnes au départ. Les auteurs aiment certaines figures (les poursuites entre insectes, mouches/coccinelles par exemple, filmées comme un ballet de la patrouille de France) et s’appuient parfois trop sur elles (on retrouvera ces scènes de chasses aériennes tournées au cœur de l’action avec force vrombissements dans les deux longs-métrages). Pourtant, au fur et à mesure des épisodes, on finit par s’attacher à toutes ces petites bestioles particulièrement bien caractérisées : la coccinelle fait un son de trompette et nargue ses petites camarades mouches ou guêpes, la fourmi est travailleuse et la patronne tient son armée au son du sifflet, la sauterelle est farceuse tandis que l’araignée qui voit sa toile sans arrêt détériorée reste placide… Qu’il s’agisse de leurs déplacements ou de leurs réactions, les insectes modélisés sont particulièrement bien vus et les réalisateurs parviennent à offrir un point de vue, à hauteur de mandibules, assez crédible. La seule chose qui pourrait éventuellement les rapprocher un peu de l’humanité, c’est justement ce regard, ces yeux assez extraordinaires que Giraud et Szabo rendent si expressifs : la mélancolie douce des antennes des escargots, les regards effarés de la petite araignée noire, les billes malicieuses de la coccinelle… Chaque « personnage » possède ses propres caractéristiques et la répétition permet de s’attacher à eux. La fantaisie ne provient pas de réactions humanisées ou totalement incongrues des bestioles mais d’un léger décalage, d’une légère exagération qui tend alors à faire ressembler les saynètes à du Tex Avery. Dans la saison 2, l’exagération devient plus sensible puisque les mouches sont capables de soulever une saucisse et les escargots de boire le contenu d’une piscine. Mais l’ensemble tient car il y a toujours cette dimension « documentaire » qui fait la singularité du projet. Si l’humour emporte la mise, certains épisodes font preuve d’une véritable poésie toute simple. Je pense par exemple à l’épisode 28 de la saison 1, Totem, qui met en scène les fourmis rapportant dans leur fourmilière un téléphone portable. Intriguées par ce « totem » comme les hommes singes découvrant le monolithe dans 2001, l’odyssée de l’espace, elles écoutent patiemment les messages incessants d’une inaudible Cindy. Puis la batterie du téléphone se décharge complètement et nos ouvrières le rangent avec d’autres rebuts de notre société de consommation. Le fait que la série ait déjà quelques années et présente un modèle de portable déjà daté rend l’épisode assez vertigineux quant à « l’obsolescence de l’homme » et une certaine pérennité de la nature.

En franchissant le pas du long-métrage, les auteurs s’exposaient au risque de la simple succession de petits sketches arbitrairement reliés. Qu’il s’agisse de La Vallée des fourmis perdues ou de ces Mandibules au bout du monde, Giraud et Szabo sont parvenus à éviter cet écueil et à bâtir des scénarios tenant la route. Dans ce deuxième épisode, une petite coccinelle enfermée dans un carton de nourriture est envoyée aux Caraïbes. Son père, accompagné de la fidèle fourmi et de la petite araignée, se rendent sur place pour la sauver. Ce tournage en Guadeloupe permet aux réalisateurs d’introduire dans leur univers un nouveau bestiaire : un caméléon, une mante religieuse, des crabes et une effrayante mygale. Reposant sur les ficelles du film d’aventures à l’ancienne, avouons néanmoins que Minuscule 2 (c’était pareil avec le premier opus) perd un peu en poésie ce qu’il gagne en efficacité narrative et en action. Cette petite réserve n’empêchera pas les grands et (surtout) les petits de prendre un certain plaisir à ce film qui joue avec les références (un navire volant tiré par des ballons comme la maison dans Là-Haut, cette même embarcation qui passe en ombre chinoise devant une lune immense comme dans E.T ou qui se retrouve dans le ventre d’un requin comme Pinocchio dans le ventre de la baleine…) sans pourtant sombrer dans le second degré et le clin d’œil aux adultes. Par ailleurs, le film se conclue avec un message gentiment écologiste en prenant le parti des chenilles urticantes plutôt que celui du tourisme de masse. On ne boudera donc pas son plaisir devant ce film d’animation toujours impressionnant d’un strict point de vue « technique » (je n’en ai pas trop parlé car ce n’est pas mon domaine de prédilection) mais qui parvient à ne jamais se griser de sa propre virtuosité…

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PS : Le DVD est accompagné de nombreux suppléments intéressants : Mouche à merde, le court-métrage qui donna l’idée de la série et marqua son coup d’envoi, La Nuit des mandibules, un moyen-métrage très réussi jouant sur les stéréotypes du film d’horreur avec un entomologiste inquiétant et un documentaire qui réjouira ceux qui se passionnent pour les secrets de fabrication des films…

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