The Dead don’t die (2018) de Jim Jarmusch avec Bill Murray, Adam Driver, Tilda Swinton, Chloë Sevigny, Selena Gomez, Danny Glover, Steve Buscemi

Le regard de l'ermite

C’est une chose entendue : Jarmusch est un dandy qui observe désormais un monde courant à sa perte avec un souverain détachement. Disons-le d’emblée : il n’est pas certain que sa proverbiale nonchalance s’accommode avec les ficelles du « cinéma de genre ». Only Lovers left alive n’était pas une de ses plus belles réussites et après la magnifique poésie de Paterson, The Dead don’t die marque une petite régression. Néanmoins, le film ne mérite pas l’opprobre qui le frappe depuis sa présentation cannoise et son ironie permanente lui donne un charme certain.

L’irruption des zombis est provoquée ici par une catastrophe écologique qui se traduit d’abord par un dérèglement des phénomènes naturels : la nuit ne tombe plus à l’heure habituelle ou bien plus tôt que prévu, les appareils électriques tombent en panne, les animaux (sauvages ou domestiques) semble s’être résolus à déserter… Ensuite, Jarmusch reprend à son compte les codes du film de morts-vivants avec sa petite communauté assiégée par des assaillants de plus en plus nombreux et incontrôlables…

On pourra reprocher au cinéaste une certaine paresse de son récit et sa manière de désamorcer la croyance du spectateur par des procédés un peu futiles de distanciation (même si c’est très secondaire, il lorgne à deux moments du côté de Blier) qui rendent parfois certains passages un peu répétitifs. The Dead don’t die a souvent des allures d’exercice de style où Jarmusch cite les autres (une des premières créatures revenues du royaume des morts s’appelle Samuel Fuller, Romero évidemment…) mais également son propre cinéma : après Paterson, Adam Driver s’appelle ici Peterson, comme dans Only Lovers left alive, on constate un certain fétichisme pour les objets du « vieux monde » (CD, guitare…), Tilda Swinton incarne une croque-mort adepte du maniement du sabre comme Ghost Dog et l’on s’amusera à voir apparaître les fidèles complices du cinéaste : Tom Waits et Iggy Pop (en zombi torse nu, évidemment !).

Pourtant, quelque chose advient dans ce film où, à son habitude, Jarmusch cultive l’art du « slow-burning » avec un rythme alangui et des répliques constamment décalées. Mais comme ces répliques sont dites par Bill Murray et Adam Driver, composant un duo de flics dépassés par les événements plutôt réjouissant, on se pique au jeu et on s’amuse franchement. Le sous-texte politique qui fait la force du « cinéma de zombis » n’est pas totalement absent même si Jarmusch l’aborde de biais. Bien sûr, il y a une catastrophe écologique et des médias qui propagent l’idée que tout va bien et que « les anti tout n’ont qu’à aller voir ailleurs » (on croirait entendre nos francophones détracteurs des « gilets jaunes », avançant comme unique argument contre cette contestation l’éculé: « si vous n’êtes pas contents, vous n’avez qu’à aller au Venezuela »). Bien sûr, il y a l’ironie de Jarmusch qui montre les morts-vivants répéter les derniers gestes qu’ils effectuaient vivants : on en voit de nombreux consulter compulsivement leurs portables ou rechercher le Wi-fi, permettant au cinéaste de souligner le mouvement absurde de notre monde.

Mais ce qui séduit le plus dans le film, c’est la manière dont Jarmusch regarde la catastrophe en cours en épousant le point de vue d’un vieil ermite qui vit dans les bois (Tom Waits). Comme ses vampires qui se recroquevillaient chez eux, il y a chez le cinéaste une volonté de s’extraire du monde, de la société des hommes et de ne plus vivre qu’avec ce qu’il juge important (un livre de Melville, par exemple). Ce regard permet un renversement de perspective dans la mesure où le « clochard céleste » devient alors la seule créature vivante au sein d’un monde voué à sa perte et face à une civilisation en plein effondrement, qui n’aura engendré au bout du compte que des morts-vivants…

Retour à l'accueil