Au service du diable (1971) de Jean Brismée avec Erika Blanc, Jean Servais, Daniel Emilfork (Editions Artus Films)

© Artus Films

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Après de nombreuses pépites italiennes, la collection « gothique » des éditions Artus s’enrichit aujourd’hui d’une œuvre curieuse et relativement méconnue venue de… Belgique. Au service du diable est le seul long-métrage de fiction du documentariste Jean Brismée, arpentant les chemins d’une épouvante assez classique mais plutôt bien confectionnée.

Grâce au passionnant livret signé Christophe Bier qui accompagne les DVD et BR réunis dans un élégant coffret, nous savons que ce film a parfois été attribué à Patrice Rhomm qui s’est pourtant contenté de l’écrire. Pseudonyme de Patrice Rondard, Rhomm a aussi bien œuvré dans le domaine du roman populaire que dans celui de l’adaptation cinématographique, travaillant notamment avec André Hunebelle sur un épisode de la saga OSS 117. Il est aussi connu par les amateurs de cinéma déviant comme l’auteur de quelques films érotiques soft, quelques pornos (sous le pseudonyme d’Homer Bingo) et du mythique Elsa Fräulein SS, œuvre de nazisploitation estampillée « Eurociné ».

Au service du diable débute d’ailleurs par un flash-back situé à la fin de la seconde guerre mondiale à Berlin et place le récit sous le sceau d’une malédiction ancestrale : un homme tue sa fille qui vient de naître, perpétuant une lignée de crimes ayant frappé la famille Von Rhoneberg. 25 ans plus tard, un car de touristes tombe en rade dans la forêt noire et les voyageurs trouvent refuge dans le château du baron joué par le toujours excellent Jean Servais. Les effets de la damnation des lieux ne vont pas tarder à se faire attendre…

La première chose qui frappe en découvrant Au service du diable, c’est que Jean Brismée connaît ses classiques : château inquiétant traversé par de nombreux courants d’air, ambiance lourde et orageuse, cave sinistre où le baron se livre à d’étranges expériences jusqu’à l’arrivée du troublant succube (Erika Blanc). Le cinéaste cherche tellement à soigner l’atmosphère générale de son récit que la mise en scène a parfois un côté un peu hiératique qu’accentue le jeu « blanc » (et parfois un peu hasardeux) de certains comédiens. Malgré cela, Brismée possède un indéniable savoir-faire qui se traduit par de beaux cadrages, un soin accordé à la lumière (quelques très beaux passages où les jeunes femmes errent dans les couloirs sombres et lugubres du vaste manoir) et un certain sens de ce qu’Alain Bergala appelle « l’attaque des plans » (voir la très belle scène de la mort de la journaliste au début du film). Ajoutons que la très belle copie du film proposée par Artus met bien valeur ce soin accordé à la mise en scène.

Au-delà de sa trame assez traditionnelle, le récit séduit par son mode opératoire. En effet, bien avant le film de Fincher, Brismée imagine une série de meurtres où les victimes seraient châtiées au moment d’un péché capital. Le premier voyageur à périr succombe de ses excès de gourmandise lors d’une scène digne de La Grande Bouffe de Ferreri. Une autre sera punie pour sa paresse (un peu sévère, selon moi, d’assimiler une nuit de sommeil à cette « vertu capitale » !) tandis que l’autre disparaîtra en raison de son envie… Nous n’en dirons pas plus car le récit réserve par la suite quelques surprises et retournements de situation.

Dans l’ensemble, Au service du diable est une œuvrette agréable à regarder. Tout au plus pouvons-nous regretter un côté presque trop sage quant aux exactions meurtrières du succube ou aux digressions érotiques. En dépit d’une décapitation, de l’utilisation toujours croquignolette d’une vierge de Nuremberg ou d’une jolie (mais sage) scène lesbienne, il manque cette folie qui souffle parfois sur le meilleur du cinéma bis italien. Elle arrive néanmoins quand apparaît la silhouette inoubliable du génial Daniel Emilfork qui incarne ici le diable en personne. Rictus effrayant et teint livide, l’acteur est exceptionnel et son excentricité est un véritable atout pour le film. Saluons également la performance d’Erika Blanc (l’héroïne, entre autres, d’Opération peur de Mario Bava) qui interprète le succube au charme ensorcelant et qui apporte cette petite touche d’érotisme incontournable, condiment essentiel à ce genre de mets…

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