Landscape Dissolves (2009-2016) de Paul Clipson (Editions Re:Voir). Sortie en DVD depuis le 31 juillet 2019

© Re:Voir films

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Soyons honnête : je n’avais jamais entendu parler de Paul Clipson, réalisateur de films expérimentaux décédé l’an passé (à 53 ans) et basé à San Francisco. Le DVD proposé aujourd’hui par les éditions Re:Voir tombe à pic pour nous faire découvrir un cinéaste à l’univers cohérent et d’une grande beauté.

Pour définir ces films, il faudrait partir de motifs qui reviennent de manière récurrente : d’un côté, des éléments horizontaux et verticaux qui structurent de manière rigide la composition du cadre et étouffent les plans : structures métalliques du pont de San Francisco, grilles, palissades, divers treillages… De l’autre, des éléments « naturels » qui dissolvent ces limites inflexibles : la mer et ses reflets, la lumière, l’aveuglante lueur du soleil… Le plupart des œuvres de Clipson sont portées par un mouvement visant à faire imploser les limites du cadre, à les liquéfier pour nous déciller le regard, nous contraindre à regarder le monde d’une autre manière. A ce titre, Light from the Mesa (2010) est assez emblématique. Il débute par des plans d’une végétation très dense qui étouffe littéralement le cadre. Même au cœur de la nature, on commence par cette idée d’un univers cloisonné et rigide. Mais peu à peu, nous allons vers le soleil et une lumière orangée se substitue aux teintes vertes du départ (soulignons d’ailleurs la splendeur plastique des films de Clipson). Il y a alors pour le spectateur une sensation d’aller vers une certaine liberté.

Si ce mouvement s’appuie sur des éléments de composition du cadre, il nait également des partis pris de mise en scène. Paul Clipson tourne en Super 8 ou en 16mm et procède par surimpressions multiples, zooms rapides, montage saccadé… Là encore, le rythme échevelé des courts-métrages permet de « dissoudre » les paysages, d’en donner une vision « autre ». Chorus (2009-2010), par exemple, est un film urbain. Mais peu à peu, l’univers oppressant de la ville se mue en un ballet abstrait où phares de voitures et feux de signalisation deviennent des points lumineux mouvants, où les lumières de la cité se changent en véritables feux d’artifice et où les enseignes lumineuses défilent à une vitesse endiablée, évoquant parfois la bande-annonce d’Enter the Void de Gaspar Noé. Tous les films de Clipson sont hantés par la lumière et son pouvoir. Pour s’en convaincre, il suffit de se reporter à leurs titres : Light from the Mesa, Bright Mirror, Light Year, Lighthouse

Parfois, une figure féminine surgit dans cet univers. Dans le très beau Origin (2009-2012), on distingue d’abord assez mal une silhouette enfouie dans la végétation. Les cheveux se confondent avec les herbes et la peau du visage avec le sol. Mais là encore, Clipson imprime un mouvement permettant de sortir de la gangue du plan, de la terre vers la mer. Les (la ?) femmes qu’il filme parfois sont souvent associées à l’élément aquatique et au mouvement de la mer. Le reflet de la lumière sur la surface de l’eau permet de capter mille scintillements abstraits et d’offrir un nouveau regard sur le monde, à l’image de l’étonnant Bright Mirror (2013) où se confondent littéralement la femme et son ombre le temps d’un ballet ensorcelant.

D’une certaine manière, les films de Paul Clipson évoquent la peinture de Maria-Helena Vieira da Silva : comme elle, il associe éléments marins et  structures urbaines qui finissent par s’estomper au contact de l’eau ou de la lumière pour engendrer des paysages imaginaires et abstraits.

Pour finir, deux mots sur la musique qui joue un rôle primordial chez le cinéaste. Atmosphérique ou planante, elle ne fait pas qu’illustrer les images mais accompagne de manière fusionnelle le mouvement de libération de la forme par la lumière auquel procède Clipson.

Encore une fois, il s’agit de films expérimentaux dont la succession peut déconcerter et/ou lasser, d’autant plus que l’artiste travaille toujours sur les mêmes motifs et que ses films finissent par se ressembler tous. Mais quiconque aura la curiosité de voir les œuvres regroupées dans Landscape Dissolves avec un œil vierge (Clipson filme régulièrement des yeux en très gros plans) trouvera ici de vrais trésors de beauté.

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