© Shanna Besson

© Shanna Besson

La gauche bourgeoise aime le « peuple » lorsqu’il n’est qu’un mot et qu’une idée. Lorsque celui-ci sort dans la rue en mettant un gilet jaune, la gauche bourgeoise est plus récalcitrante.

La gauche bourgeoise se veut à la fois réaliste et non manichéenne. Elle sait que chez les délinquants, il y a des individus issus de l’immigration mais elle prendra soin d’équilibrer cette vision en montrant qu’il y a aussi des occidentaux. Il ne s’agit pas d’être angélique mais d’être juste (mais comme on parle de la justesse d’un calcul).

La gauche bourgeoise porte sur la misère un regard paternaliste qui évoque celle des curés d’antan. Les pauvres sont sales, bêtes mais ce n’est pas entièrement de leur faute. La gauche bourgeoise aime les vignettes de type sociologique : elle appelle ça le « réalisme ». Mais elle cherche à masquer ça derrière une enveloppe artistique et une conscience permanente de ses effets (la « griffe de l’auteur »). Il faut donner une vision « métaphysique » du fait divers, ne pas s’en tenir aux vieux pulls moches et aux ongles sales.

La gauche bourgeoise porte de l’estime à la police. Elle la croit républicaine et dévouée à tout le monde. Elle doit sévir face aux pauvres mais elle a toujours à cœur de les aider. Pour la gauche bourgeoise, un commissaire tient du travailleur social (il parvient à retrouver une adolescente en fugue), du médiateur de quartier et du prêtre, ne s’énervant jamais et cherchant avant tout à confesser les coupables afin qu’une rédemption soit possible. Certains collègues haussent parfois le ton (jamais de mauvais gestes : aucune violence n’est envisageable du côté policier) mais ils sont conscients de leurs responsabilités. Certains cherchent même à retrouver un sens à leur mission en espérant retrouver la foi.

La gauche bourgeoise aime que les choses soient calibrées : pas d’excès, pas de points de vue qui pourraient la faire passer pour militante, pas de saillies ou d’angles coupants. De l’eau tiède. Elle débutera par un tableau impressionniste de la vie du commissariat avec des affaires d’arnaque à l’assurance et un viol d’adolescente mais s’en débarrassera pour se concentrer sur une seule affaire traitée en champs/contrechamps d’une platitude toute téléfilmique. Quant à « l’affaire » elle-même, elle sera traitée avec une minutie interminable (le souci du « réalisme ») mais avec toujours cette hauteur que la gauche bourgeoise sait prendre sur l’événement pour éviter le prosaïsme. La gauche bourgeoise nous offrira alors une leçon d’atavisme que n’auraient pas reniée les écrivains naturalistes avec un commissaire capable de reconstituer toute l’enfance et la jeunesse des deux inculpées.

Chez la gauche bourgeoise, la remise en question des structures sociales et économiques n’est pas à l’ordre du jour : juste de la mauvaise conscience. Elle comprend que la vie n’est pas facile pour certains, elle a de la compassion pour la misère mais pour qu’elle soit acceptable, il faut que les pauvres fassent un effort et se conforment à la vision du monde qu’a la gauche bourgeoise (qui est une vision de flic).

La gauche bourgeoise a trouvé avec Roubaix, une lumière son plus dévoué représentant : Arnaud Desplechin.

 

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