Lilly et Lana Wachowski, la grande émancipation (2019) d’Erwan Desbois (Playlist Society, 2019)

Transhumanisme

Ceci n’est pas une critique. Détestant sans la moindre nuance le cinéma des Wachowski, il est difficile pour moi de parler d’un essai qui ne me concerne en rien. Paradoxalement, au détour d’un paragraphe, Erwan Desbois m’a peut-être fait prendre conscience de ce qui m’éloigne radicalement de cette œuvre. Je cite : « Chez les deux sœurs, les bons se reconnaissent à leur bonté, et les méchants à leur méchanceté, par le biais d’une approche cristalline. Il n’y a pas d’interpénétration possible entre les deux états (…) ».

Pour ma part, j’estime qu’une œuvre d’art doit être l’inverse de ce manichéisme primaire, que ce qui caractérise l’homme est justement cette ambiguïté, cette interpénétration du Bien et du Mal qui peut se résoudre de manière dialectique (la culture parvenant à apprivoiser la Nature). Sur cette base, l’auteur développe l’idée que le cinéma des Wachowski, en s’opposant aux normes édictées par la société (notamment sexuelles), nous invite à une « grande émancipation ». Ce n’est sans doute pas le lieu pour entamer une longue discussion sur le sujet mais, pour le dire vite, je trouve cette vision assez contestable. D’une part, parce qu’elle soutient le principe (hors toute réalité économique) que l’émancipation viendra de la grande famille indistincte des « opprimés » (à savoir les femmes, les homosexuels et les victimes du racisme sous toutes ses formes) en s’appuyant sur la grande supercherie de « l’intersectionnalité » (allez parler de « convergence des luttes » aux homosexuels qui vivent dans les pays régis par la loi islamique ! [1]). D’autre part, parce qu’elle est à l’image du cinéma des Wachowski, totalement « technophile » et ne tient pas compte de toutes les horreurs commises au nom du progrès, de la Raison et de l’asservissement de l’individu aux machines (voir Gunther Anders sur L’Obsolescence de l’homme). Que l’homme soit désormais capable de s’affranchir de son identité sexuelle et de son genre à un niveau individuel, je ne trouve rien à y redire. Qu’on érige en modèle de société émancipée ce qui apparait comme du transhumanisme me laisse un peu songeur…

Mais encore une fois, le débat n’est pas là. Car il faut aussi être honnête : Erwan Desbois connaît très bien son sujet et l’analyse avec enthousiasme, clarté et une argumentation bien nourrie. Les amateurs du duo de cinéastes y trouveront donc certainement leur compte…

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