Cultural Studies et Hollywood : le passé remanié (2020) de David Da Silva (Editions Lettmotif, 2020) Sortie le 30 janvier 2020

Histoire et idéologie

Spécialiste du cinéma populiste américain, auteur d’essais consacrés à Sylvester Stallone et Mel Gibson, contributeur à la revue Eclipses (on retrouvera en annexe son texte sur Ragtime de Forman), David Da Silva s’intéresse aujourd’hui au film historique hollywoodien du 21ème siècle et à la manière dont il subit l’influence des « Cultural Studies ». Qu’entend-on par « Cultural Studies » ? Il s’agit d’un courant de recherche qui vise à relier la culture et les problèmes de société. « Mais la culture élitiste et bourgeoise n’est plus centrale. Au contraire, ce sont les cultures populaires qui deviennent valorisées. ». Plus précisément, ces diverses « Studies » visent à déconstruire une vision hégémonique (en gros, celle construite par l’homme blanc hétérosexuel) pour mettre en valeur celles de groupes minoritaires et opprimés au long de l’Histoire.

L’auteur fait dans un premier temps le distinguo entre les « American Studies » d’antan visant à faire de l’Amérique un ensemble de valeurs partagées et de définir un « esprit américain » capable de se fondre dans le fameux « melting pot ». A ce mythe donnant lieu à des films fort contestables d’un point de vue historique s’est substituée une volonté de redonner leur place (légitime) aux minorités oubliées par cette histoire. Da Silva cite, à ce titre, l’historien Marc Ferro : « les Etats-Unis sont passés de l’idéologie du melting-pot (où la guerre civile est envisagées comme fondatrice de la cohésion sociale) à celle du salad-bowl qui conteste la théorie de la nation unie et met en avant l’idée de cultures variées sur un même territoire. »

Pour les « Cultural Studies », il s’agit désormais de corriger une vision falsifiée du passé pour proposer de nouveaux points de vue. Si l’on se fie à une image qui nous est familière (celle de la France, par exemple) vue par Hollywood, on peut facilement la transposer et imaginer ce que peuvent ressentir les Noirs américains ou les Amérindiens lorsque « l’usine à rêve » traite de leurs cas (l’exemple le plus symptomatique restant évidemment Naissance d’une nation, le chef-d’œuvre de Griffith qui est, malheureusement, aussi un film horriblement raciste réécrivant l’Histoire américaine du point de vue suprématisme blanc). L’ambition de David Da Silva va être de montrer comment ce projet intéressant sur le papier et ayant permis également de faire émerger des figures historiques méconnues (celle de l’esclave révolté Nat Turner dans la nouvelle version de Naissance d’une nation ou même Harvey Milk) va finir par se figer dans une idéologie victimaire et provoquer des conflits communautaires donnant lieu à des œuvres historiques aussi fallacieuses que celles du siècle précédent.

Sa méthodologie est la suivante : chaque domaine de recherche (les « African American studies », les « Gender Studies » aussi bien que les « Animal Studies » ou les « Queer Studies ») est traité par le prisme d’exemples récents. D’abord la manière dont les films historiques ont été réalisés pour complaire à ces « Studies », puis les critiques effectuées par les historiens et enfin, dans un ultime paradoxe, David Da Silva souligne comment des œuvres pourtant « politiquement correctes » finissent néanmoins par déplaire à d’autres minorités qui entrent en conflit. Citons un seul exemple : celui des Proies de Sofia Coppola proposant une relecture du film de Don Siegel par le biais des « Gender Studies » (point de vue féminin sur cet épisode) mais qui se fit attaquer par les zélateurs des « African American Studies » pour avoir gommé la présence d’une domestique noire et, par la même, avoir oublié de traiter d’une autre oppression. Et lorsque Kathryn Bigelow s’attaque dans Detroit à la condition des Noirs opprimés, elle est elle-même fustigée pour l’avoir fait…du point de vue d’une femme blanche !

A ce titre, David Da Silva rend parfaitement compte de cette sorte de schizophrénie galopante qui ravage une société américaine gangrénée par « les dérives communautaires ». Son livre regorge d’exemples et est parfaitement documenté (beaucoup de recherches, de références…).

On peut néanmoins faire quelques petites réserves. La première concerne le « conflit d’historiens ». La thèse de l’auteur est que les films historiques d’aujourd’hui, même s’ils prennent en compte le point de vue des minorités (plus question de montrer, comme au temps du Jour le plus long, que la deuxième guerre mondiale fut exclusivement gagnée par des hommes blancs hétérosexuels), ne sont pas pourtant plus justes historiquement parlant. Mais, après tout, pourquoi ce que nous acceptions comme « fiction » autrefois (avec ce qu’elle implique dans la création des mythes) ne devrait plus être accepté aujourd’hui ? L’auteur le suggère d’ailleurs à plusieurs reprises. En revanche, sa manière d’étayer une démonstration en s’appuyant sur les notes obtenues sur IMDB par les utilisateurs me paraît plus contestable. Dire que les critiques formulées sur un film par les universitaires adeptes des « Cultural Studies » n’ont aucune valeur (l’auteur ne l’exprime pas en ces termes) parce que le public l’a plébiscité ne me paraît pas très probant même si l’on peut admettre que certains pinaillages idéologiques relèvent de la pure querelle de chapelles, à mille lieues des préoccupations du plus grand nombre. On ne me fera pas croire que la vision de Paris proposée par Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain est juste seulement parce que le film a été un triomphe au box-office. Mais de la même manière, ce n’est pas parce que cette vision est biaisée que je dois m’interdire d’aimer le film ou me permettre de le critiquer pour des raisons idéologiques. Pour revenir aux sujets sensibles des « Cultural Studies », je suis persuadé que des films (quoi qu’on pense du résultat – je ne suis vraiment pas fan du deuxième-) populaires mais critiquables pour leurs visions caricaturales de l’homosexuel (La Cage aux folles) ou du « bon Noir » (Intouchables) ont fait plus pour faire accepter ces figures dans la société française que toute la bouillie idéologique que l’on peut lire sur certains sites « militants ».

La petite frustration qui finit néanmoins par gagner le lecteur face à cet essai, c’est le côté un peu répétitif de la méthode. David Da Silva nous propose un catalogue de nombreuses polémiques récentes, en tire des conclusions souvent pertinentes et très stimulantes mais on aurait aimé une synthèse un peu plus globale, notamment quant à ce que ces « Cultural Studies » impliquent en matière d’esthétique. Si des films idéologiquement repoussants (Naissance d’une nation) peuvent néanmoins être considérés comme des chefs-d’œuvre, on peut légitimement penser qu’un film « politiquement correct » peut l’être au même titre. Cependant, est-ce qu’en s’obligeant à ne déranger aucune communauté, on ne contraint pas les cinéastes à une sorte de bain d’eau tiède émollient et à des leçons de morale édifiantes ? Une des beautés du cinéma classique hollywoodien, c’est justement d’avoir su proposer derrière les stéréotypes évidents des genres des visions nuancées de l’Histoire (qu’on réduise le cinéma de John Ford à son racisme comme le fit bêtement Tarantino est tout simplement stupide). Le risque (et on le voit d’ailleurs avec les films que cite David Da Silva) avec les « Cultural Studies », c’est de perdre cette nuance si les cinéastes s’exposent à la critique chaque fois qu’un Noir ou une femme à un mauvais rôle, par exemple.

En ce sens, l’essai qui milite pour un certain universalisme le montre très bien. A la fois l’apport intéressant des « Cultural Studies » en ce sens qu’il ne peut y avoir d’universalisme si l’on exclut les minorités. Mais également le risque de voir ces revendications identitaires prendre le pas sur un récit commun en miettes et de privilégier le discours au détriment de l’œuvre d’art…  

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