Sex is comedy (sur trois films de Mocky)
Un couple (1960) de Jean-Pierre Mocky avec Juliette Mayniel, Jean Kosta, Véronique Nordey, Francis Blanche
Les Saisons du plaisir (1987) de Jean-Pierre Mocky avec Denise Grey, Charles Vanel, Jean Poiret, Eva Darlan, Jean-Luc Bideau, Fanny Cottençon, Darry Cowl, Richard Bohringer, Bernard Menez, Jacqueline Maillan, Bernadette Lafont, Stéphane Audran, Jean-Pierre Bacri, Jean Abeillé, Judith Godrèche
Le Mari de Léon (1993) de et avec Jean-Pierre Mocky et Serge Riaboukine, Laura Grandt, Dora Doll, Hélène de Fougerolles, Pascale Roberts
Même si la distinction peut paraître arbitraire et mériterait d’être nuancée, il me semble que les films de Mocky peuvent être regroupés en quatre grandes tendances : des débuts placés sous l’égide de la comédie de mœurs à visée sociologique, des « comédies guérilla », des films noirs empreints d’un certain romantisme désespéré et des satires comme autant de prétextes pour peindre des galeries de personnages excentriques et monstrueux. Les trois films dont il va être question illustrent à leur manière ces grandes branches de l’œuvre tout en montrant qu’il existe toujours une certaine porosité entre elles.
Comme Les Dragueurs et Les Vierges, Un couple dénote une volonté chez le cinéaste de s’inscrire dans son époque et d’offrir au spectateur un témoignage de type « sociologique ». Il ne s’agit plus de s’intéresser à un groupe défini (les adeptes de la drague, les jeunes filles et leur pucelage, le snobisme dans Snobs) mais à un couple qui s’aime encore mais qui s’use. Lors de la première scène dans un musée où règne un certain brouhaha, l’un des personnages invite l’autre à bouger : « viens, on ne s’entend plus ». Il faut alors entendre la polysémie de cette phrase puisque les jeunes mariés (Pierre et Anne) admettent que leur entente physique n’est plus ce qu’elle fut alors que leurs sentiments sont pourtant toujours les mêmes. Avec ce deuxième long-métrage, Mocky fait preuve d’une certaine audace (qui lui vaudra une interdiction aux moins de 18 ans) puisqu’il ose traiter frontalement de la question du désir sexuel dans le couple et les complications qu’il peut faire naitre lorsqu’il vient à s’émousser.
Avec la complicité de Raymond Queneau qui signe les dialogues, il ausculte avec une certaine acuité le quotidien de ce couple tiraillé entre le désir de retrouver l’ardeur des premiers moments (Pierre envisage même de quitter son travail dans une fabrique de jouets pour s’en aller avec Anne) et la tentation d’aller voir ailleurs pour briser la monotonie du quotidien. Le film accompagne les élans contrariés de ce couple, qu’il s’agisse de l’attirance de l’homme pour sa collègue (Véronique Nordey) ou le désarroi d’Anne lorsque son mari tarde à réapparaître. La force d’Un couple, c’est de ne jamais jouer la carte du surplomb moralisateur. Dans cette histoire, il n’y a ni coupable, ni victime mais un état de fait contre lequel il est difficile de lutter. Si le film est plutôt amer quant à sa vision de l’amour (forcément éphémère et voué à la disparition lorsque l’amour physique devient une routine), il n’en demeure pas moins assez enjoué. Dès ce deuxième film, Mocky témoigne de son goût pour les seconds rôles croquignolets et l’excentricité. Tout d’abord, il débute là sa fructueuse collaboration avec le génial Francis Blanche (qui joue le patron chauve de Pierre) et s’amuse à croquer des silhouettes drolatiques. Songeons à ce voisin qui ramène une nouvelle conquête chaque soir ou encore à un autre qui promène son petit chien en le houspillant lorsqu’il lève la patte (« vous n’avez pas honte ? Espèce de petit blouson noir ! ») et qui honore bobonne après s’être occupé de la salade. Ces voisins annoncent à la fois les films « à trognes » du cinéaste mais marquent aussi les deux extrêmes auxquels sont confrontés le couple vedette : d’un côté, le désir sexuel assouvi mais sans les sentiments (le voisin Don Juan jette d’ailleurs son dévolu sur Anne), de l’autre, la condamnation au train-train quotidien aboutissant au vieux couple répétant inlassablement les mêmes gestes (avec cette scène répétée trois fois).
Plus de 25 ans plus tard, le cinéma de Mocky a passablement évolué et les mœurs aussi. Les Saisons du plaisir aborde aussi la question du sexe mais de manière beaucoup plus crue. S’il fallait résumer le film à la manière des Guignols de l’info, nous dirions qu’il n’y a que « du cul, du cul, du cul ». Prenant comme prétexte un congrès de parfumeurs organisé par un couple de centenaires (Charles Vanel et Denise Grey), le metteur en scène en profite pour peindre une galerie de personnages obsédés par le sexe, qu’il s’agisse des enfants qui matent une adolescente en train de bronzer ou qui obligent les adultes mâles à exhiber leurs bijoux de famille (scène désopilante où Poiret excelle dans la goguenardise tandis que le génial Darry Cowl lorgne avec envie sur l’engin visiblement impressionnant – tout reste hors-champ- de Roland Blanche) jusqu’aux adultes les plus âgés et respectables. Il faut voir Jacqueline Maillan en adepte du Minitel rose vêtue d’une guêpière pour y croire ! En 1987, Mocky est dans sa période faste. Ses films précédents ont été soutenus par la critique (A mort l’arbitre, Y-a-t-il un français dans la salle ?) et il a enchainé de beaux succès publics (Le Miraculé, Agent trouble). Il peut donc tout se permettre et entrainer avec lui un des plus beaux castings que l’on puisse imaginer. Les Saisons du plaisir vaut d’ailleurs avant tout pour cette galerie de trognes improbables et ces portraits « à l’italienne » de personnages tous plus affreux, sales et méchants les uns que les autres. Outre l’extravagante Jacqueline Maillan déjà citée, une mention spéciale doit être attribuée à Darry Cowl en vieil homosexuel précieux. Mais tous méritent d’être cités : Bideau et Poiret en abominables et cyniques arrivistes libidineux, Eva Darlan en lesbienne désabusée, Stéphane Audran et Sylvie Joly en nymphomanes adeptes de films pornos, le fidèle et hilarant Jean Abeillé habillé en éclaireur et regrettant un accident lui ayant coûté ses testicules, Bohringer et Menez en gendarmes benêts qui n’hésitent pas à se « soulager » entre copains… A travers les personnages de Fanny Cottençon et Jean-Pierre Bacri, on retrouve un peu de la situation d’Un couple puisque nos deux lurons cherchent à redonner un peu de piment à leurs ébats, l’une en se donnant à de jeunes amants, l’autre en la filmant…
Alors bien sûr, les adeptes du « bon goût » et de la distinction passeront leur chemin : le film ne fait pas dans la dentelle (précisons que s’il est très cru dans les dialogues, rien n’est montré) et il est réalisé à l’emporte-pièce. Mais dans une époque compassée comme la nôtre, la saine vulgarité des Saisons du plaisir s’avère roborative. Par ailleurs, toute cette communauté est menacée par une centrale nucléaire avoisinante, donnant au film cette petite touche de fantastique qu’a toujours affectionnée Mocky (voir La Cité de l’indicible peur ou Ville à vendre).
Plus tardif, Le Mari de Léon est un film se situant à une époque charnière de l’œuvre de Mocky. Etrillé et ostracisé après l’échec d’Une nuit à l’assemblée nationale, le cinéaste ne retrouvera plus jamais sa superbe d’antan et glissera peu à peu vers une place complètement souterraine au sein du cinéma français (qui peut se targuer d’avoir vu Le Cabanon rose avec Bigard, Menez et Guybet ou Calomnies avec Guy Marchand et Agnès Soral ?). Au début des années 90, la situation est encore un peu instable. Le cinéaste peut produire des films presque « normalement », réunir de beaux castings (Noir comme le souvenir avec Jane Birkin et Sabine Azéma) mais le succès n’est plus au rendez-vous et il en tire une certaine amertume que l’on peut ressentir dans Le Mari de Léon.
10 ans après Y-a-t-il en Français dans la salle ?, le réalisateur retrouvait Frédéric Dard pour une adaptation d’un best-seller signé San-Antonio. En reprenant nos catégories définies en début de texte, nous pourrions classer Le Mari de Léon parmi les films « noirs » de Mocky (même s’il n’y a pas d’intrigue policière) où il incarne d’ailleurs souvent le rôle-titre. Comme dans Solo, L’Albatros ou Le Piège à cons, le film est une sorte d’autoportrait déguisé. Mais cette fois, le cinéaste ne part pas en guerre contre la société dans son ensemble mais reste dans son domaine : celui du spectacle. Si le personnage de Boris est censé s’inspirer de Robert Hossein, difficile de ne pas retrouver les traits de Mocky derrière le masque de cet homme d’origine slave qui hurle constamment sur son équipe. Hâbleur, atrabilaire, désabusé et obsédé par la gent féminine, Boris ne vit que pour le théâtre. Mais il est constamment accompagné par Léon (Serge Riaboukine), sorte de factotum qui l’aide à la fois à s’organiser au théâtre mais qui séduit également des jeunes femmes pour les livrer à son mentor. Amoureux de Boris sans lui avouer frontalement, Léon espère qu’en éloignant sa femme Nadia, il pourra entamer l’idylle de ses rêves…
Avec ce film, Mocky met en sourdine son goût pour les galeries de trognes et se montre relativement sobre. Comme dans les deux films précédemment évoqués, le sexe est au cœur du récit : l’amour qui s’use entre Boris et Nadia, l’appétit du metteur en scène pour les jeunes comédiennes (mais comment ne pas être séduit par la lumineuse Hélène de Fougerolles qui tenait ici son premier rôle ?), « l’amour » impossible de Léon pour Boris, l’idylle passionnée entre Boris et la belle-sœur de Léon… Si le constat était assez délirant et plutôt joyeux dans Les Saisons du plaisir, il est ici beaucoup plus désabusé et amer. Mocky jette un regard assez âcre sur les relations humaines et la difficulté à aimer. Nadia (Laura Grandt) finit par se suicider, Léon s’occupe de sa femme transformée en légume suite à un accident… Le sexe n’a plus rien de joyeux et c’est surtout par la parole qu’il est évoqué (les dialogues de Dard sont particulièrement salés). Sur la question de la sexualité, le film souffre néanmoins d’être, si j’ose dire, trop hétérosexuel. Ne vous enfuyez pas, je ne suis pas en train de déposer une lettre de candidature aux Inrockuptibles (il paraît qu’il faut ouvrir un blog sur Mediapart pour de telles démarches) : l’hétérosexualité revendiquée d’un film n’a rien de rédhibitoire (il ne manquerait plus que ça !) et j’estime également qu’un metteur en scène hétéro est tout à fait en mesure de traiter de relations homosexuelles s’il le désire (et vice-versa, bien entendu). Mais, pour le coup, le récit est construit sur une relation qui devrait être trouble et ambiguë entre Boris et Léon. Or jamais on ne sent ce trouble dans le jeu des comédiens. L’attirance du jeune homme pour le prestigieux metteur en scène ne passe que par quelques lignes de dialogues mais jamais dans le jeu de Serge Riaboukine. Cette incapacité à faire naître une certaine ambivalence affadit un peu le propos du film. Cette réserve ne doit pas nous empêcher de le découvrir puisqu’il est plutôt bien écrit et que les piques satiriques de Mocky font toujours mouche (voir la manière dont il caricature un richissime PDG du secteur des pâtes et son épouse). Et puis il y a Mocky acteur qui prend visiblement un plaisir immense à incarner ce metteur en scène extravagant. Il faut le voir vêtu d’un simple cache-sexe en laiton en forme de masque au grand nez pour saisir la mesure de sa « folie » et la preuve évidente qu’il n’a toujours pas perdu son inclination pour les postérieurs dénudés de sémillants quinquas ou sexagénaires.
Rien que pour sa prestation haute-en-couleur, Le Mari de Léon mérite le détour.