Paroles de cinéma : nouvelles vagues (2019) de Noël Simsolo (Marest Editeur, 2019) Sortie en librairie le 17 mars 2020

L'art de l'entretien

L’exercice de l’entretien est un art aussi délicat que difficile. Souvent réduit à un simple exercice de promotion du dernier film à l’affiche, l’interview ne vaut le détour que si elle permet à l’artiste interrogé de se livrer un peu plus en profondeur ou de sortir de l’ornière des lieux communs et des chemins balisés. A ce titre, le modèle insurpassable reste évidemment les entretiens d’Hitchcock avec Truffaut mais on garde aussi en mémoire les travaux d’excellents intervieweurs, notamment ceux de Michel Ciment (en dépit des divergences de goûts que je peux avoir avec lui). Noël Simsolo, déjà auteur d’un Conversation avec Sergio Leone, s’est souvent livré à l’exercice de l’entretien. Et c’est une série  d’interviews réalisées entre 1969 et 1985 que regroupe l’ouvrage Paroles de cinéma. Si le sous-titre indique « nouvelles vagues » au pluriel, c’est que le critique donne ici la parole aux gens de la « Nouvelle Vague » au sens large : à la fois les représentants historiques de ce courant (Chabrol, Rivette, Truffaut, Rohmer) mais aussi les proches, (Pollet, Demy, Duras, Straub), leurs « descendants » (Garrel) et leurs cousins d’Allemagne (Fassbinder, Schmid, Schroeter) ou du Japon (Oshima, Yoshida). L’ensemble est donc particulièrement intéressant puisque Simsolo interroge également des personnalités beaucoup plus marginales (Arrieta, Robiolles, Lapoujade) et ne se contente pas des réalisateurs. Il va ainsi à la rencontre d’actrices (Bulle Ogier, Ingrid Caven), d’un chef op (Almendros), d’une monteuse (l’incontournable Agnès Guillemot) ou d’un musicien (Michel Legrand).

La question qui vient au terme de ce panorama est de savoir si Noël Simsolo fait partie des bons intervieweurs et s’il est parvenu à faire dire des choses originales aux personnalités qu’il interroge. La réponse dépend souvent de son interlocuteur et de l’époque à laquelle il a réalisé ces entretiens. Face aux grands « anciens », Simsolo se révèle plutôt très bon, peut-être parce qu’il fait preuve d’une certaine déférence et d’un certain retrait. Sa manière de mener les questions est assez curieuse. Il s’éloigne souvent des considérations de l’actualité et débute par des interrogations très générales (avec Chabrol et Demy, il se focalise sur le récit tandis qu’il questionne Rohmer sur la morale). Cette manière de mener les entretiens est assez déconcertante mais la maïeutique finit par payer puisque les cinéastes livrent des considérations vraiment passionnantes, que ce soit celles de Chabrol et Rivette sur le « cinéma politique » ou encore celles de Truffaut et son désir de toucher le « grand public ».

Avec ce qu’il nomme la « deuxième génération », il se trouve que Simsolo affiche une proximité plus évidente (il tutoie d’ailleurs certains cinéastes) et que le résultat est sans doute un peu moins probant. Parfois, on peut estimer que cela tient à la personnalité interrogée. Je ne sais pas si c’est parce que je n’ai pas vu Jaune le soleil mais l’interview de Duras m’a fait le même effet que ses films : une totale indifférence qui, peu à peu, se mue en bâillements irrépressibles. Parfois, le critique s’obstine dans son idée et ce caractère têtu produit un effet un peu étrange, à l’image de ces échanges avec Garrel que l’on sent presque tendus parce que Simsolo veut sans cesse le ramener sur un terrain Hegelo-marxiste alors que le cinéaste nage dans ses rêves de l’Art pour l’Art : « Si je demandais quelque chose au monde, ce serait l’Art au pouvoir. Le reste, je m’en fous. »

Il faut dire qu’au début des années 70, la question du cinéma politique et militant est au cœur des débats. L’auteur aime souvent aller sur ce terrain-là, et cela produit parfois de belles choses et d’autres un peu plus datées (voir l’entretien avec le minable Romain Goupil).

Mais, pour conclure, il faut néanmoins redire que la multiplicité des interviews et des personnes interrogées fait toute la richesse et l’éclectisme de Paroles de cinéma : nouvelles vagues. Chacun, selon ses affinités, pourra puiser dans ces conversations des choses nourrissantes qui finissent, au bout du compte, par dessiner un beau panorama de cet ensemble mouvant, aux contours incertains que l’on a regroupé sous l’étiquette de « nouvelle vague » et « nouveaux cinémas »…

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