Le Crocodile de la mort (1976) de Tobe Hooper avec Neville Brand, Mel Ferrer, Robert Englund, Marilyn Burns, William Finley, Carolyn Jones (Éditions Carlotta Films) Sortie en BR/DVD le 25 mars 2020

© Carlotta Films

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Après avoir tourné le mythique Massacre à la tronçonneuse, Tobe Hooper récidive immédiatement avec un nouveau film d’horreur basé, une fois de plus, sur un fait divers réel. Judd, le patron de l’hôtel borgne qui assassine ses clients à la faux et qui se débarrasse des cadavres en les offrant en pâture à son crocodile « venu d’Afrique » s’inspire de Joe Ball, alias le « boucher d’Elmendorf ». Notre bonhomme aurait, dans les années 30, tué plusieurs femmes avant de les faire disparaître en les donnant à manger à ses alligators.

Mais alors que Tobe Hooper jouait la carte d’un réalisme halluciné dans Massacre à la tronçonneuse, il opte ici pour un parti-pris inverse. Certes, le décor reste assez similaire : un coin paumé du Texas avec ses « redneck » comme symboles d’une humanité jamais totalement coupée de ses origines sauvages. Mais le traitement est totalement différent. D’un côté, l’horreur diurne et une confrontation presque « documentaire » entre les jeunes gens et la famille dégénérée sous un soleil écrasant ; de l’autre, un conte macabre exclusivement nocturne et stylisé (les brumes artificielles du bayou). Je dois admettre que ce changement radical de style m’avait décontenancé et que je n’avais pas trop apprécié Le Crocodile de la mort lors de ma première vision. Je trouvais le film assez banal et un peu routinier. Même si Hooper reste assez loin du niveau de Massacre à la tronçonneuse, la superbe copie restaurée proposée par Carlotta m’a permis de réviser ce jugement sévère.

A partir du moment où l’on accepte ce parti-pris de conte horrifique, le film s’avère très réussi. Tobe Hooper parvient d’emblée à créer une atmosphère oppressante, notamment grâce à une musique « bruitiste » à laquelle il a lui-même participé. Ces nappes musicales vrillent immédiatement les nerfs et rendent le cadre encore plus étouffant. Le cinéaste joue également à merveille avec son décor, qu’il s’agisse de l’hôtel plutôt miteux, du débarras sous l’habitation où va se réfugier la petite fille ou des eaux marécageuses aux alentours où se meut le monstrueux reptile. De la même manière, il apporte un soin visible à la lumière, noyant certaines scènes sous un éclairage rouge qui déréalise le récit et renforce sa dimension de conte.

Et puis il y a toute cette mythologie « redneck » qui fonctionne parfaitement ici. Neville Brand incarne à la perfection le vieux Judd, loup solitaire qui ne s’est jamais totalement remis de son expérience de la guerre (un point commun avec le vrai Joe Ball). L’hôtel, comme quelques années plus tard dans le plus humoristique Nuits de cauchemar de Kevin Connor, devient le lieu de l’horreur. Suivant les traces d’Hitchcock et du décidément séminal Psychose, Hooper comme Connor jouent sur le côté reculé et « rustique » de leur décor pour montrer ce moment où la civilisation bascule du côté de la sauvagerie. Tandis que Judd devient, au même titre que son crocodile, un infernal prédateur, les tenanciers du « Hell Motel » font commerce de chair humaine et sont même considérés comme les meilleurs artisans du cru (il faut dire que leurs « produits » sont élevés dans un potager tout à fait particulier) chez Kevin Connor. Mais le côté « dégénéré » pointe aussi chez les autres personnages du film. Il suffit de voir Buck (Robert Englund, avant qu’il devienne à jamais Freddy Krueger), ce jeune arrogant (« My name is Buck and I'm here to fuck ») qui, tel les péquenauds de Délivrance, ne peut prendre les femmes que par derrière et qui joue les petites frappes dans un bistrot particulièrement malfamé (voir son copain qui cherche des noises à un pauvre type qui aurait eu le tort de reluquer la petite amie de Buck).

Si les situations sont traitées de manière assez classique (de pauvres hères s’arrêtent à l’hôtel pour y passer la nuit et se font dessouder), Hooper emporte la mise grâce à cette atmosphère « gothique » (au sens de « Southern Gothic ») et poisseuse à base de bayous brumeux et de chansons country. On s’amusera également à voir William Finley (le Winslow Leach de De Palma) incarner un personnage totalement psychotique (il se met à aboyer en transpirant, opprimé qu’il est par son épouse) ou la délicieuse Marilyn Burns échappée de Massacre à la tronçonneuse.

On appréciera également la petite pointe de cruauté d’un film qui n’hésite pas à malmener une fillette et qui sait susciter la peur en s’inscrivant dans un contexte assez familier. Car contrairement aux Dents de la mer et à ses ersatz, ce n’est pas le crocodile du titre qui est terrifiant mais bel et bien l’homme ordinaire et toute la sauvagerie qu’il peut receler…

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