La Poursuite impitoyable (1966) d’Arthur Penn avec Marlon Brando, Jane Fonda, Angie Dickinson, Robert Redford, Myriam Hopkins, Janice Rule, Robert Duvall (Editions Sidonis Calysta). Sortie en DVD/BR le 22 mai 2020

© Sidonis Calysta

© Sidonis Calysta

Arthur Penn fait partie d’une génération à part dans l’histoire du cinéma américain, celle de ces cinéastes à cheval entre un certain classicisme (Le Gaucher, son premier long-métrage) et la modernité à venir. De cet auteur, on retiendra une sensibilité parfois proche du cinéma européen (Mickey One, par exemple) et son goût pour une certaine démystification de l’Histoire américaine. Par sa liberté de ton et sa violence, Bonnie and Clyde annonce le « Nouvel Hollywood » tandis qu’un film comme Little Big Man revient de manière à la fois sarcastique et dramatique sur le revers de la « conquête de l’Ouest » et le génocide indien.

D’une certaine manière, La Poursuite impitoyable annonce (mais sur un registre moins abouti) ces deux films. Par ses quelques éclats de violence encore assez inédits à Hollywood en ce milieu des années 60, on voit se dessiner l’épopée sanglante de Bonnie dans Clyde. Quant au regard posé sur cette Amérique sudiste où règnent la discrimination, le racisme et les inégalités, il est déjà aussi affuté que dans Little Big Man.

Bubber Reeves (Robert Redford), après s’être s’évadé en compagnie d’un autre prisonnier qui le trahit et tue un homme, revient du côté de la petite ville du Texas où habitent ses parents et sa femme Anna (Jane Fonda). Tout le monde aimerait voir le forçat sous les barreaux, notamment le fils de Val Rogers, le magnat du coin, qui a une liaison avec Anna ou encore Edwin Stewart (Robert Duvall), employé de Rogers cocufié à loisir par sa femme Emily et qui craint que Bubber veuille se venger d’une vieille histoire… Quant à Calder (Marlon Brando), le shérif, il va se démener pour éviter un lynchage en bonne et due forme et pour conserver son intégrité au sein de cette communauté où règnent mensonges, coups bas, adultères, débordements alcoolisés et rumeurs malveillantes…

L’intérêt premier du film réside dans le tableau de cette petite communauté en proie aux rancœurs et à la jalousie. Penn a un vrai talent pour la faire exister en dévoilant par petites touches tous les sales petits secrets qui empoisonnent l’atmosphère, les ressentiments venus du passé, les frustrations conjugales et les aigreurs liées aux rapports de classe. Calder, par exemple, est dans les bonnes grâces de Val Rogers mais ce dernier refuse constamment d’inviter le vice-président de la banque Edwin Stewart, au grand dam de sa femme Emily (Janice Rule). Cette dernière trompe de façon éhontée son mari avec l’un de ses amis, Damon (l’autre vice-président). Cette situation confine au malaise, notamment lors d’une grande scène de fête un samedi soir où tout le monde est alcoolisé et où les pulsions les moins avouables se dévoilent. Emily colle ostensiblement son amant tandis que la femme de ce dernier se répand en complaintes et pleurs pathétiques. Mais l’alcool fait aussi ressurgir une certaine violence : les hommes lorgnent sans complexe sur les jeunes adolescentes qui s’amusent dans une maison voisine et prennent à partie un Noir dont le seul tort est de se promener seul dans les environs. A plusieurs reprises, Penn soulignera ce racisme latent chez ces hommes du Sud ne renâclant jamais face à une chasse à l’homme ou un bon lynch.

Le cinéaste ne cherche pas à tout révéler mais laisse au contraire planer des non-dits (les rapports conflictuels entre Rogers et son fils, le mariage arrangé et malheureux de ce dernier…) et les hypocrisies, à l’image de cet homme qui donne du « monsieur » à un Noir lorsqu’il veut acheter sa maison et se contente de son prénom lorsque ce dernier refuse.

Le personnage de Calder est assez ambigu également puisqu’il est un protégé de Val Rogers (d’où de nombreuses inimitiés dans la bourgade) alors qu’il est chargé de faire respecter la Loi et non de servir des intérêts particuliers. Il mettra tout en œuvre pour protéger Bubber et éviter que la foule le lynche. Cela nous vaudra une impressionnante scène de bagarre où Penn ne recule pas devant les détails réalistes (le visage tuméfié et la chemise ensanglantée du shérif) et une violence graphique qui annonce déjà Bonnie and Clyde.   

L’Amérique selon Penn, c’est le surgissement d’une violence endémique et l’affrontement de plusieurs mondes. D’un côté, ce vieux Sud dominé par l’empire d’un seul homme (Rogers), par l’exploitation et la discrimination (les Noirs mais également les employés mexicains). De l’autre, les coutures qui craquent et des pulsions (notamment sexuelles) qui s’affichent au grand jour.

De ce point de vue, La Poursuite impitoyable est une œuvre intéressante et réussie, bénéficiant d’un casting hors-pair, que ce soit du côté des comédiens chevronnés comme Brando en shérif granitique, comme Angie Dickinson malheureusement un peu sacrifiée en femme aimante ou encore comme la grande Miriam Hopkins qu’on a le plaisir de revoir ici dans le rôle de la mère du fugitif. Côté nouveaux venus, difficile de résister au charme de Jane Fonda et Robert Redford trouvait là l’un de ses premiers rôles d’importance.

Pourtant, Arthur Penn n’était pas satisfait du film puisque le montage lui échappa complètement. Les cinéastes sont rarement objectifs sur leur travail mais force est de constater qu’il n’a pas entièrement tort non plus. Le film souffre peut-être parfois d’embrasser trop de pistes, quitte à ne pas toujours éviter une certaine lourdeur. A la trame « policière » de la chasse à l’homme (à la fois par les habitants et le shérif) s’ajoutent une dimension sociologique (le problème du racisme), sentimentale (les diverses tromperies, le trio amoureux au centre duquel se trouve Anna…) et l’étude de mœurs (la libération sexuelle). Ce feuilleté fait évidemment l’intérêt de l’œuvre mais il n’est pas toujours léger.

Malgré cette réserve, et pour de magnifiques séquences comme celle de l’assaut de la casse automobile où se cache Bubber, La Poursuite impitoyable reste un film intéressant qu’on (re)découvrira avec plaisir…

Retour à l'accueil