Hôtel New-York (1984) de et avec Jackie Raynal (Éditions Re :Voir) Sortie en DVD le 17 juin 2020

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Monteuse pour Jean-Daniel Pollet et Eric Rohmer (entre autres), liée au groupe Zanzibar (elle a également travaillé avec Philippe Garrel et Serge Bard), et cinéaste elle-même (Deux fois demeurant son titre le plus célèbre), Jackie Raynal est une figure importante du cinéma dit indépendant.  

Pour ceux qui affectionnent le cinéma expérimental, la découverte d’Hôtel New-York est assez surprenante dans la mesure où le film est scénarisé (aussi minime que soit l’anecdote qui préside à sa réalisation), figuratif sans pour autant opter pour le journal intime filmé (à la Mekas) ou la non-intervention « documentaire » à la Warhol. On songe parfois à certains films de Chantal Akerman (News from Home) qui naviguaient entre l’(auto)fiction et le documentaire (la cinéaste belge a d’ailleurs tourné un Hôtel Monterey).

Dans Hôtel New-York, Jackie Raynal tient son propre rôle : celle d’une cinéaste française qui décide de s’installer à New-York. Nous suivons alors ses démarches pour trouver un appartement en colocation, obtenir une chambre aux allures de placard pour un prix exorbitant puis tenter de subsister en présentant ses films ou en travaillant comme monteuse. Le ton de la première partie est assez satirique et la première scène d’une théâtralité qui évoque Warhol, du moins celui des films réalisés par Paul Morrissey (Heat, Flesh…). Lorsque Loulou (c’est le nom de la cinéaste) se retrouve face au placard qu’on lui propose pour 300 dollars par mois, Jackie Raynal saisit quelque chose de très juste sur l’évolution de l’Amérique. En effet, nous sommes au départ propulsé dans un cadre qui évoque l’underground et l’image d’une certaine bohème artistique telle qu’elle a été fixée à la fin des années 60 et dans les années 70. Or derrière ce côté débraillé et « artiste », on trouve déjà les requins masquant leur richesse pour spéculer dans l’immobilier…

La suite reste assez amusante, notamment ce moment où Loulou présente son film et se heurte à un public très clairsemé qui échafaude les théories les plus biscornues en tentant vaille que vaille de décortiquer l’œuvre à l’aune de ses propres lubies idéologiques. Sans se complaire dans la victimisation, Jackie Raynal montre bien les difficultés pour une jeune femme étrangère de s’intégrer à cette vie new-yorkaise et les embuches qui se dressent sur son chemin : on lui propose de travailler pour ce qui semble être un « téléphone rose » (les clients sont friands de l’accent français), le réalisateur d’un film se plaint de son travail de montage et même pour la nourriture, Loulou s’étonne qu’on ne puisse trouver que des hamburgers et du soda…

La deuxième partie du film est centrée sur la rencontre avec son mari Sid. Ce segment, on peut déjà le voir dans New-York Story (1980), un court-métrage de 27 minutes également disponible sur le DVD. Dans ce film beaucoup plus lapidaire, Jackie Raynal se contente d’une introduction en forme de « documentaire » singulier. Elle filme le Plaza Hotel mais en intégrant des images lorgnant vers le surréalisme (asticots sortant d’un matelas, draps qui dissimulent de la viande sanguinolente…). Plus abrupte, la partie liée à la vie maritale de Loulou est mieux amenée dans Hôtel New-York.

Là encore, Jackie Raynal joue avec une certaine familiarité, un côté warholien pour l’aspect « domestique » du film, entre documentaire et théâtre intime. Puis s’intéressant cette fois à la place qu’elle occupe dans le couple, Loulou fait part de ses désirs et réclame un jeune homme (un Portoricain doux). On suit alors les déambulations de Sid qui, après sa journée de travail, se rend dans un cinéma pour assister à la projection de Sherlock Junior. Comme dans le film de Keaton, il s’endort devant l’écran et sa vie « rêvée » apparaît le temps d’une saynète.

Toute cette partie traduit d’une autre façon l’enjeu de ce beau film : saisir quelque chose entre la réalité et la fiction, le mur du quotidien et l’horizon des désirs et la difficulté pour l’individu pour trouver sa place dans le monde…

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