Fourre-tout éclectique
Ciné Bazar n° 8. Juin 2020 (sous la direction de Thomas Révay) (éditions Rouge profond)
Comme son titre l’indique, Ciné-Bazar est un grand fourre-tout. A l’origine, il s’agit d’un fanzine qui, peu à peu, a acquis une certaine réputation. Les éditions Lettmotif publièrent autrefois un recueil des meilleurs entretiens de la publication et elle sort désormais sous la forme de beaux livres aux indispensables éditions Rouge profond.
La principale qualité de Ciné Bazar, c’est son éclectisme. Thomas Révay et son équipe évitent les traditionnelles opposions entre une certaine cinéphilie noble et la cinéphagie la plus compulsive et enjambent volontiers ces artificielles frontières. On trouvera donc dans ce numéro un texte pointu et passionnant de Jacques Aumont sur la représentation de « l’invisible » au cinéma aussi bien qu’un entretien avec le comédien musculeux de films d’action Fred « The Hammer » Williamson. Même si on trouve çà et là quelques chroniques sur des films (notamment Troie de Petersen et Adoration de Du Welz), l’identité de Ciné Bazar tient avant tout à la qualité des entretiens proposés.
Primo, parce que Thomas Révay ne lésine pas à accorder de la place à ces rencontres. Pour prendre un exemple frappant, le lecteur trouvera dans ce n°8 un entretien avec Roger Avary de plus de 60 pages (sur quatre colonnes). En offrant ainsi l’occasion à ses invités de s’exprimer, il leur permet de se livrer de manière vraiment personnelle et d’aborder des éléments jamais abordés dans le cadre d’une interview traditionnelle. Avary, pour rester avec lui, parle de son expérience de la prison et cette manière de livrer son intimité permet d’offrir un autre éclairage sur son œuvre tout en conservant de bonnes distances entre ce qui sépare la confidence d’une certaine auto-complaisance.
Secundo, Thomas Révay annonce d’emblée qu’il a cherché cette fois à mener des discussions sous un angle dépassant le cinéma à strictement parler, pour davantage enregistrer des « leçons de vie » (notamment lorsqu’il part en Irlande à la rencontre de John Boorman) et des conseils pour le futur cinéaste qu’il souhaiterait être. Là encore, ce parti-pris lui permet d’établir une certaine proximité avec les individus qu’il interroge et donne à ces entretiens une couleur originale et habitée.
Tertio, la force de Ciné Bazar tient également à l’idée de partir à la rencontre de personnalités du cinéma que l’on n’entend pas forcément beaucoup parler. John Boorman et Jerry Schatzberg ne sont pas des inconnus mais on a moins l’habitude d’entendre s’exprimer l’auteur de Flash Gordon et de La Loi du milieu (Mike Hodges), Marcus Nispel (le spécialiste des remakes des classiques du cinéma d’horreur des années 70) ou encore Wolfgang Petersen, le roi des « blockbusters » dans les années 90 et 2000. Même si on n’adhère pas forcément aux œuvres de ces réalisateurs (confessons que c’est notre cas), la connivence que Thomas Révay parvient à établir avec eux les rend sympathique et permet de titiller la curiosité.
Enfin, cerise sur le gâteau, après une carte blanche à Jean-Vincent Puzos, Thomas Révay nous offre deux chapitres inédits des fabuleux mémoires de Jean-Charles Tacchella. Si vous n’avez pas encore lu ce copieux ouvrage (je vous le recommande vraiment chaleureusement), vous trouverez là une parfaite mise-en-bouche où le réalisateur de Cousin, cousine égrène ses multiples souvenirs et revient sur ses rencontres avec Arletty, Orson Welles, Errol Flynn, Gérard Philipe, etc. Un régal qui vient conclure un très beau numéro hautement recommandable.