Christophe Honoré, les corps libérés (2020) de Mathieu Champalaune (Playlist Society, 2020)

Le très Honoré (trop?) Christophe

C’est toujours un peu délicat pour moi d’évoquer des essais lorsqu’ils portent sur des cinéastes que je n’aime pas. Dans le cas de Christophe Honoré, c’est pire car je hais viscéralement son cinéma au point que je n’ai plus rien vu de ce qu’il a tourné depuis La Belle Personne. Le premier mérite de l’essai de Mathieu Champalaune, c’est d’avoir réussi à prendre à rebours mes préjugés et à m’intéresser à un réalisateur, écrivain et dramaturge qui m’agaçait au plus haut point. A tel point que je regrette de m’être laissé aller autrefois à de violentes diatribes contre certains de ses films. Je ne les aime pas plus pour autant mais ma hargne était excessive (donc insignifiante, comme dirait l'autre) et n’avait rien de justifiée.

Mais revenons à cet essai. Lorsque l’auteur écrit : « le système de référence au sein de son travail procède moins par le clin d’œil ostensible et délibéré que par l’existence, dans ses créations, de traces de la connaissance d’œuvres antérieures, dont la disposition et l’articulation au sein d’une mise en réseau reflètent une appréhension personnelle de l’histoire culturelle et une volonté de transmettre. », j’ai d’abord tendance à tiquer, pensant rigoureusement le contraire. C’est d’ailleurs ce qui m’avait exaspéré dans Dans Paris et Les Chansons d’amour : cette manière d’exhiber les références et de jouer constamment sur la connivence avec le spectateur pour proposer des ersatz des films de la Nouvelle vague ou de Jacques Demy. Or Mathieu Champalaune, patiemment et précisément, creuse son sillon et apporte les preuves de ce qu’il avance en s’appuyant sur le corpus filmique du cinéaste mais en allant également piocher dans les œuvres romanesques de Christophe Honoré et dans ses pièces de théâtre. Or je dois concéder que la démonstration est plutôt convaincante et les liens tissés entre ces diverses formes d’expression toujours pertinents.

L’une des grandes qualités de cet essai, c’est de jouer la carte de la vulgarisation au sens le plus noble du thème. Connaissant sur le bout des doigts l’œuvre de Christophe Honoré, Mathieu Champalaune parvient à la fois à l’analyser et à en circonscrire les principaux enjeux tout en la rendant accessibles pour ceux qui ne la connaîtraient pas ou partiellement. Il est d’ailleurs très agréable de suivre sa réflexion sans avoir le sentiment d’être perdu parce qu’on n’a pas vu les films.

Son approche est factuelle et thématique. Scrupuleusement, il analyse les principaux axes de l’œuvre d’Honoré : sa manière de faire dialoguer les différents arts (avec notamment un chapitre consacré à l’importance de la musique), le rôle de la ville (entre Rennes d’où il vient et la capitale tant convoitée), l’importance de la famille et, enfin, la place des corps dans cette œuvre. Peu à peu se dessine une indéniable cohérence que l’auteur souligne en s’appuyant toujours sur des éléments très précis (extraits de livres, détails d’une scène de film…). Champalaune ne cherche pas à trop « théoriser » son essai et aborde finalement assez peu les questions d’esthétique. Mais cette modestie fait paradoxalement la force du livre car on ne n’a pas le sentiment d’une surinterprétation visant à faire entrer l’œuvre d’Honoré dans une grille préétablie. C’est d’ailleurs une bonne surprise car le cinéaste trimballe derrière lui une image de « bobo » branchouille (voir les dithyrambes qui accueillent chacun de ses films dans Les Inrockuptibles) et qu’il aurait été assez aisé d’en faire le porte-flambeau de causes sociales à la mode (c’était d'ailleurs un peu le travers dans lequel tombait l’essai sur les Wachowski chez le même éditeur). Mathieu Champalune évite cet écueil en s’en tenant à l’œuvre qu’il décrypte en amateur éclairé, de façon claire et accessible.

Je ne dirai pas qu’il a réussi à me faire changer d’avis sur les films que je connais d’Honoré mais il m’a donné envie, malgré tout, de me pencher à nouveau sur cette œuvre que j’ai lâchée il y a un moment…

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