L'art d'être grand-père
Valse d’amour (1990) de Dino Risi avec Vittorio Gassman, Dominique Sanda, Elliot Gould, Firmine Richard (L.C.J éditions) Sortie en DVD et BR le 15 novembre
Indépendamment du fait qu’il s’agisse d’un de ses derniers films (même si le cinéaste tournera encore pour la télévision jusqu’en 2002) et, sauf erreur, du dernier distribué en France, Valse d’amour a tout du film testamentaire. Retrouvant une fois de plus son acteur fétiche Vittorio Gassman, Dino Risi signe une sorte d’autoportrait de l’artiste en vieil homme perdant quelque peu la tête.
Après avoir passé de nombreuses années dans une clinique pour malades mentaux tenue par des sœurs, Augusto peut retourner vivre chez lui. Il est accueilli par sa belle-fille Carla (Dominique Sanda) et sa petite-fille Rosa qu’il n’avait jamais vue jusqu’à présent. Carla a refait sa vie avec Giorgio qui a, lui-même, une fille. Pour cette famille recomposée, l’arrivée d’Augusto provoque des bouleversements et cristallisent certaines tensions. Mais le vieil homme, indifférent au cadre rigide des conventions, se prend d’affection pour Rosa et vice-versa.
Alors qu’Augusto zappe frénétiquement devant la télévision familiale (il découvre l’existence de la télécommande), nous apercevons, le temps d’un flash très court, un extrait du Fanfaron. Comme si Risi, avec Valse d’amour, bouclait la boucle en s’offrant un nouveau périple avec Gassman. Au jeune homme hâbleur et exubérant, toujours prêt à vitupérer au moindre instant a succédé un grand-père déphasé et totalement inadapté au monde dans lequel il vit. S’il s’entend si bien avec Rosa, c’est qu’il n’a, au fond, jamais quitté les territoires de l’enfance. Et si la petite fille se reconnait presque immédiatement dans cet aïeul excentrique, c’est qu’elle-même se trouve incomprise au sein de la cellule familiale : son beau-père n’en a que pour sa fille, celle-ci la considère comme une inepte gamine et sa mère est dépassée. Ces deux être solitaires vont donc s’allier et nouer des liens profonds, permettant à Risi de laisser parler son penchant pour le mélodrame qu’on trouvait déjà dans de beaux films dramatiques comme Fantôme d’amour ou Parfum de femme.
Pour autant, le cinéaste n’a pas perdu sa verve satirique. Même si c’est de manière beaucoup moins carnavalesque que dans Les Monstres ou Le Fanfaron, Risi utilise le personnage d’Augusto comme un révélateur des hypocrisies bourgeoises. Lors d’une scène très amusante, Gassman débarque en pyjama au cœur d’une soirée mondaine organisée par Carla et Giorgio. Entre les petits fours et le champagne, il cherche ses mots fléchés. Pour garder contenance, Carla présente son beau-père à un riche ingénieur susceptible de devenir un gros client de Giorgio. Augusto le qualifie alors de « belle tête de con à l’ancienne », créant ainsi le scandale. Si l’homme est « subversif », c’est qu’il ne possède désormais plus aucun filtre et dit exactement ce qu’il pense. Invité à la télévision avec d’autres « fous », il commence par adopter le langage policé exigé par la présentatrice. Exhibé comme une bête de foire, il joue le jeu médiatique jusqu’au moment où il s’agit de parler de son médecin traitant. Alors Augusto demande gentiment à lui passer un message, se lève et commence à le traiter de tous les noms, suivis par les autres aliénés présents sur le plateau.
A travers ces moments où craque le vernis des convenances, qu’il soit social ou médiatique, Risi livre une vision du monde qui n’a rien perdu de son mordant sarcastique. Même si l’idée est assez classique lorsqu’il s’agit de filmer des personnes dites malades mentales, on réalise très vite que ce que montre le cinéaste, c’est avant tout le fonctionnement totalement fou de la société dans son ensemble. Qu’Augusto ait été autrefois un directeur de banque n’est pas un hasard, symbole même d’un monde où ne règne que l’appât du gain. Revenu au cœur de cet univers, il ne supporte ni l’hypocrisie, ni les violences faites à Rosa (qu’elles soient psychologiques ou physiques lorsque sa mère la gifle violemment). Tous les deux s’inventent alors un territoire qui n’est que le leur et qui est celui de l’enfance. Car si la manière dont Augusto tombe « amoureux » de la fillette pourrait heurter dans un contexte normal, on réalise très vite que cet « amour » est pur et dénué d’ambiguïté. C’est un jeu que le grand-père et sa petite-fille oppose au sérieux du monde des adultes et à leurs besognes absurdes.
Mais c’est aussi de cette situation que découlera la mélancolie du film car il n’y a pas de place dans ce monde pour Augusto, son ami Alcide (Elliot Gould, méconnaissable) et même Rosa. Alors qu’ils tentent de s’isoler pour vivre dans une sorte d’autarcie, ils sont rattrapés par la société et ses lois.
Gassman est alors au diapason de son mentor pour nous faire ressentir la mélancolie du temps qui passe et l’impossibilité pour lui de trouver une place au cœur du monde. Rosa grandira et s’en ira. Pour lui, la fin de l’existence approche. Mais il restera toujours cette petite musique qu’il garde dans la tête, cette « valse d’amour » qui lui aura permis de la traverser avec une certaine insouciance et beaucoup de légèreté.
Une valse qui pourrait symboliser tout ce que fut le cinéma de Dino Risi : de l’humour, du sarcasme, de l’excès (voir la scène où une ancienne secrétaire d’Augusto se jette quasiment sur lui en lui confessant son amour) mais aussi une profonde humanité (qu’il n’aura pourtant jamais épargnée en filmant ses tares) et une vraie tendresse qui éclate à chaque plan de ce joli film…