Les Enfants terribles (1950) de Jean-Pierre Melville avec Nicole Stéphane, Edouard Dermit (L.C.J Éditions) Sortie en Mediabook (DVD ou BR) le 16 mars 2021

© L.C.J Éditions

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Après avoir été remarqué à juste titre pour son premier long-métrage, Le Silence de la mer, Jean-Pierre Melville adaptait un célèbre roman de Jean Cocteau et signait avec Les Enfants terribles son deuxième film.

Comme on pourra le vérifier en se reportant au très instructif livret rédigé par Marc Toullec, le cinéaste se montrait très sévère avec son œuvre : « La voix de Cocteau et l’interprétation de Nicole Stéphane me font accepter le film ; mais je dois dire qu’en dehors de ces deux points, et mise à part la photo de Decaë, je ne le supporte plus. »

Avec le recul, le spectateur peut effectivement se dire qu’il n’y a guère de points communs entre l’univers de Cocteau et celui que développera par la suite Melville dans ses films noirs. D’un côté, une théâtralité exacerbée, une ostentation poétique un brin emphatique, des dialogues très littéraires et un certain attrait pour l’onirisme. De l’autre, un cinéaste quasi-behavioriste, taiseux et attaché aux gestes et regards de ses personnages. A la limite, s’il fallait trouver un trait d’union entre les deux, on pourrait évoquer une certaine ambiguïté des rapports « entre hommes » chez Melville qui le rapproche (même si c’est de façon beaucoup moins exubérante) des sous-textes homosexuels de l’œuvre de Cocteau.

Les Enfants terribles, c’est l’histoire de Paul et Elisabeth, un jeune homme et sa sœur qui cultivent des liens ambigus. Après la mort de leur mère, ils se cloitrent dans leur chambre, véritable sanctuaire où ils dissimulent leurs trésors. A la fois inséparables et se chamaillant sans arrêt, ils seront bientôt entourés par Gérard, un ami de Paul, et Agathe, une collègue d’Elisabeth.

Avouons-le, ce qui relève de Cocteau dans le film a plutôt mal vieilli. Tout d’abord, le jeu médiocre de son protégé Edouard Dermit mais aussi cette voix-off (celle du poète) omniprésente et un brin envahissante. Les thématiques sont celles de l’auteur : Paul est un être fragile qu’une simple boule de neige peut faire défaillir. Il succombe au charme d’un ange noir de son lycée, Dargelos, un rebelle dont il retrouvera les traits dans le visage d’Agathe (c’est d’ailleurs l’actrice Renée Cosima qui interprète les deux rôles). Jeune homme éthéré, inadapté au monde, il est pris en charge par sa sœur et se nouent entre eux des liens indéfectibles et étouffants. Peut-être est-ce cette dimension qui a séduit Melville après Le Silence de la mer : l’étude des comportements dans un lieu clos et la nécessité de composer avec l’Autre.

Toujours est-il que, soixante-dix ans après sa sortie, c’est cette dimension qui fonctionne le mieux. La mise en scène rigoureuse de Melville parvient à restituer cette sensation d’étouffement qui étreint les personnages. Il est épaulé par la sublime photographie d’Henri Decaë qui retrouve son éclat originel grâce à magnifique version restaurée en HD que nous proposent les éditions L.C.J. Avec le jeu plutôt fin de Nicole Stéphane, c’est cette atmosphère moite et oppressante qui séduit davantage aujourd’hui que les coquetteries de Cocteau et la préciosité des dialogues.

Lorsque l’étau se resserre et que le film vire à la tragédie, Melville parvient à nous émouvoir. Contrairement à ce qu’en disait Truffaut, Les Enfants terribles n’est pas son meilleur film et c’est même sans doute son plus faible. Néanmoins, les qualités d’écriture et de mise en scène parviennent à faire oublier ses scories et à le rendre intéressant.

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