Apocalypse Show, quand l’Amérique s’effondre (2021) d’Anne-Lise Melquiond (PlayList Society, 2021) Sortie le 7 septembre 2021

Apocalypse Now

Ce n’est pas sans une certaine frayeur que j’ai ouvert cet essai. En effet, même si le thème est alléchant, j’ai réalisé au bout de quelques secondes que l’autrice n’allait pas parler de cinéma mais uniquement de séries. Or vous savez que votre serviteur est allergique à ce genre télévisuel à quelques exceptions près (Twin Peaks, L’Hôpital et ses fantômes, Ma sorcière bien-aimée…) et, surtout, qu’il ne s’y connait pas davantage qu’en physique quantique ou en droit romain.

Première bonne surprise : si Anne-Lise Melquiond convoque un certain nombre de fictions pour construire son corpus, il n’est quasiment pas nécessaire de les avoir vues pour suivre sa démonstration. En effet, il s’agit davantage de brosser un tableau plus général de l’Amérique dans le miroir des séries postapocalyptiques qui ont vu le jour lors de ces deux dernières décennies (The Walking Dead, The Leftovers, Battlestar Galactica…). Et quand il s’agit de s’appuyer sur quelques exemples plus précis, l’essayiste décrit précisément les passages qui serviront à étayer son raisonnement.

Deuxième bonne surprise : l’essai reste accessible aux néophytes en ne misant pas sur une approche « esthétique » de ces séries (qui nécessiterait de les connaître). Mais on peut d’ailleurs se demander, entre parenthèses, si ce genre se prête à ce type d’approche puisqu’à la différence des œuvres cinématographiques, il joue moins sur des questions de mise en scène (souvent purement fonctionnelle) que sur l’efflorescence des récits et la possibilité de jouer sur la durée. Du coup, Anne-Lise Melquiond nous propose un regard sociologique, thématique voire politique sur cette question de la « fin du monde d’avant » qu’interrogent ces fictions. Elle s’intéresse d’abord à la description que proposent ces sagas de l’Apocalypse (invasion de zombies, d’extraterrestres…) et avance des arguments séduisants sur les liens existants entre ce genre et le western : la reconquête d’un territoire, les traumatismes de l’Histoire et la nécessité de réinvestir des paysages en ruine.

Dans un deuxième temps, elle s’intéresse à la question du temps et de la fin possible de notre planète, fin à la fois redoutée (comme la fin d’une série d’ailleurs) et souhaitée.

Enfin, l’autrice évoque des questions plus politiques avec les enjeux de survie que mettent en scène ces séries : lutter dans un environnement hostile, se défendre contre la menace extérieure, vivre parmi les morts.

A ce titre, elle pointe un paradoxe assez juste :

« Le grand paradoxe de ces récits d'effondrement est de mettre en scène des menaces irréalistes (zombie, extraterrestre) alors qu'il n’y a pas ou peu de discours sur le réchauffement climatique ou les désastres industriels qui menacent réellement la Terre. Désirée ou crainte, l'apocalypse n'est qu'un prétexte pour justifier la permanence du monde. La fin des temps qu'exploitent ces fictions sert seulement de contexte pour la reproduction du monde que nous connaissons, sans changement significatif. L'angoisse provoquée par la description terrible de ces temps d'après la catastrophe, sauvages, fratricides, imposant un mode de survie précaire, rend notre société contemporaine désirable, ou au moins rassurante. »

Car ces récits apocalyptiques devraient nous interroger davantage sur les impasses du capitalisme et son effondrement probable. Sur ce point, l’essai est un peu frustrant en ce sens qu’il ne creuse pas assez cette piste. A titre d’exemple, on voit cité dans la bibliographie le A nos amis du Comité invisible qui n’est pourtant pas exploité dans le texte. Une des raisons probables de cette absence tient sans doute au fait que cet essai était, à l’origine, une thèse de doctorat réécrite pour s’intégrer à la ligne « vulgarisatrice » (au bon sens du terme) de la maison d’édition.

C’est ce qui fait à la fois la grande qualité du livre (une manière claire de poser les enjeux thématiques, sociologiques et politiques de ces séries) et son seul petit défaut : on aurait aimé parfois que la démonstration aille un peu plus loin et soit plus fouillée.

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